Speedwriting #8bis – Concert

La salle n’était pas très impressionnante au premier abord. Assez grande pour accueillir un millier de personnes, on pouvait la qualifier d’intimiste, mais sa sobriété était telle qu’on avait du mal à imaginer qu’une quelconque communion eut pu déjà s’y produire entre fans et artistes. La scène proprement dite surmontait d’un petit mètre, peut-être davantage, le plancher qui devrait accueillir dans quelques heures la troupe déchaînée. Je m’imaginais au milieu de cet attroupement, un mouton parmi tant d’autres, ou plutôt tel du bétail, parqué entre la scène et la petite porte qui se refermerait peut-être dernière nous une fois les organisateurs sûrs d’avoir vendu le maximum de places possible et qui verrouilleraient la salle de peur que le flot déchainé ne s’échappe et ne se déverse en des lieux où il n’aurait rien à faire. J’ignorais combien de personnes viendraient assister au spectacle, mais j’étais sûr d’avoir entendu ça et là des rumeurs faisant état d’un chiffre bien supérieur à la capacité de la salle. Je me demandais comment je pourrais retirer du plaisir de cette orgie musicale, du haut de mon mètre soixante-dix, coincé entre une adolescente hystérique, un ersatz de Marylin Manson et bien sûr, loi de Murphy oblige, le seul double mètre de la salle qui m’interdirait toute vue de la scène. Cette dernière, dont la largeur n’excédait pas une vingtaine de mètre, était loin d’avoir revêtu ses habits de gala.

Sans doutes les vestiges d’un dernier concert, une batterie traînait nonchalamment sur le côté gauche de la scène, une cymbale crash brinquebalante. Celle-ci avait dû subir l’assaut de trop, d’une baguette, ou bien d’un de ses artistes qui, emporté par sa frénésie, vint peut-être se fracasser sur l’instrument, ce qui, tel que je me l’imaginais, devait être monnaie courante. Peut-être même un bassiste voyait-il là un moyen original d’unir sa rythmique à celle du batteur, improvisant une sonorité unique, qui ne se retrouverait pas sur l’album studio. Le charme de la scène ne consistait-il justement pas à jouer un même morceau, sans jamais le reproduire exactement, en créant, en surprenant encore et toujours ? C’est à travers ce travail d’improvisation que les musiciens entendaient apporter la preuve qu’ils venaient faire découvrir une œuvre avant de faire découvrir un artiste. En ce sens, les instruments étaient aux artistes un troisième bras, une extension de leurs corps. Dit autrement, le commun des mortels naissait amputé de ce troisième bras. Et parce que la majorité des gens était dans ce dernier cas, la première définition devait paraître plus correcte, et la formule était largement usitée. Je pouvais le comprendre, se voir amputer d’un bras n’a rien de très réjouissant. Ce genre de rassemblement était peut-être un moyen de célébrer l’être supérieur, tandis que nous tous, nous étions conscients de notre inaptitude musicale. Maintenant que j’y réfléchissais, je me sentais un peu malheureux. Je me disais que ce n’était pas très juste de la part de la vie de créer ces êtres dotés d’un talent, heureux élus, si rares. Avaient-ils seulement une idée de la chance qu’ils avaient, de cet inné qui serait de loin supérieur à tout ce qu’un être “basique” ne pourrait jamais fournir même en y jetant toute ses forces, en travaillant des années, sans relâche, sa rythmique, ses accords, la tessiture de sa voix ?

Je me sentais bouillir désormais. J’étais poursuivi, même dans ce temple de la fête où j’étais simplement venu prendre du plaisir, par mes incessantes crises existentielles et cette colère qui ne voulait pas me quitter depuis des mois. Je jetais des regards noirs aux quelques dévots qui m’entouraient, certains se massant déjà le plus près possible de la scène, comme s’ils voulaient s’imprégner de l’ambiance, prêts à se laisser bercer par cette atmosphère si particulière, enveloppe du message des prêcheurs. Ils étaient vraiment stupides, se rendaient-ils compte, qu’en plaçant ces êtres sur un piédestal, ils ne faisaient que s’abaisser eux-mêmes ? Le pire, c’était d’imaginer que je pouvais faire partie de cette masse de fidèle, ou à tout le moins que l’on pu m’y confondre. Je n’avais pourtant rien en commun avec eux. Tout juste une curiosité pour les choses nouvelles, ce goût de l’inhabituelle plus que de la belle musique, mais en aucun cas je ne vouais un culte irréfléchi, aveugle. J’étais en train d’imploser. Il fallait que je me calme. Soudain, j’aperçus un escalier, sur le côté droit de la salle, à mi-chemin entre la scène et les portes d’entrée. Celui-ci menait à une mezzanine dont l’espace devait couvrir un tiers du parterre principal. Je décidais de me jeter sur les marches que je grimpais deux à deux, et je me précipitais si rapidement, encore tout empli de cette colère, que je faillis trébucher sur la dernière marche. Je me raccrochais tout juste à la rambarde, un peu honteux, espérant que personne ne m’aurait vu.

En vérité, seules quelques personne se trouvaient là, à surplomber la scène, collés à cette fameuse rampe que je serrais encore de mes mains. Ceux-là étaient clairement un type de dévots plus fainéants. Assis en tailleurs, collés à la balustrade, ils pourraient boire et s’imprégner de la musique sans se fatiguer, avec une vue imprenable. Seule leur manquerait cette proximité avec la scène. Mais je me rendais compte, qu’ici comme partout ailleurs, tout était affaire de compromis. Essoufflé par cette brusque montée d’adrénaline, je décidais de m’asseoir à côté d’un petit groupe de trois personnes. Je me positionné comme eux, ne voulant pas trop marquer ma différence et surtout mon manque d’expérience en ce genre de lieu. Je basculais mon buste en arrière et mes mains se posaient sur le sol, bras tendus. J’essayais de me calmer, de ralentir les battements de mon cœur. J’expirais et inspirais profondément. La vue de la scène était en effet bien différente de celle que l’on avait quelques mètres plus bas. La meilleure vue possible sans aucun doute, mais je n’étais pas certain de préférer cette place à l’abri de la meute. J’avais la sensation que pour vivre le concert, pour dire que l’on y était au même titre qu’un être de cette foule, il fallait redescendre, vivre et survivre au milieu du monde, avec le monde. Nous devions partager les mêmes plaisirs et subir les mêmes contraintes. Moi qui avais pourtant horreur de me fondre dans la masse, moi qui aimait par-dessus tout mon indépendance, ne résistais pourtant pas à cette pensée contraire à ma philosophie de vie habituelle. J’étais perdu dans ces pensées, quand soudain, une voix parvint à mes oreilles :

– On n’est pas mal situé là pas vraie ?

C’était mon voisin de gauche qui m’adressait la parole, sans doute un peu intrigué par mon attitude et qui devait mesurer mon léger malaise. Il poursuivit :

– Au moins on ne rate rien. Ce n’est pas tant le chanteur qui importe, c’est le groupe en entier.

Je le regardais, mais comme je ne répondais toujours rien, il ajouta :

– Tu vois, moi ce qui m’agace, c’est que le batteur a toujours tendance à être négligé. Le chanteur au milieu, les bassistes et guitaristes à la gauche et à la droite. Et le batteur, derrière, oublié. C’est incroyable ce mépris constant.

Il s’arrêta de nouveau. Je sentais qu’il attendait une réponse de ma part, une approbation sans aucun doute de ses dires pour le moins savants. J’avais beau ne pas avoir une grande expérience de la scène, je ne pouvais m’empêcher de considérer ses paroles comme les clichés ultimes de la perception que le monde a en général du rôle de chacun dans un groupe. Mais peut-être étais-je trop sévère et mon voisin tenait simplement à user de lieux communs pour lancer la conversation. Considérant alors que l’on trouvait toujours une part de vérité en remontant à la source des clichés, je me bornais à lui répondre de manière concise et sincère :

– C’est possible. Enfin, je ne crois pas que ce soit le cas systématiquement.

Je me rappelais notamment d’un concert, plus précisément de la vidéo d’un concert – puisque j’étais plutôt spécialiste de la scène par écran interposé – où le batteur était bel et bien mis en évidence, pas exactement sur le devant de la scène, tout juste excentré, et placé de manière ad hoc sur une marche de manière à le mettre autant en évidence que les autres membres du groupe. Je pointais alors du doigt, vers la scène, la batterie malheureuse qui portait toujours sur elle les traces d’une soirée agitée.

– Regarde, lui dis-je, cette batterie m’a l’air bien mise en valeur. Et au vu de la taille de la scène, c’est plutôt encourageant.

Que j’ai eu tort ou raison à ce moment-là, peu importait. J’avais l’impression d’avoir prononcé le contraire de ce que j’aurais dû dire. Je regardais sur le visage de mon voisin l’effet de mes paroles. Il avait l’air plutôt contrarié, et j’aurais juré qu’il me regardait un peu de travers. Ses compagnons, qui n’avaient prononcé mots jusqu’ici, me regardaient de leur regard neutre.

– On n’est pas mal ici, continuais-je, mais c’est un peu frustrant d’avoir la balustrade devant soi. J’ai l’impression d’être emprisonné pour le coup !

Pour toute réponse, j’obtins non pas un, mais trois regards noirs de la part de mes éphémères compagnons, regards qu’ils accompagnaient, j’en été persuadé, de pensées bien désagréables et qui voulaient clairement dire, si je me place sur un mode de langage soutenu : « Si tu n’es pas bien ici, tu n’as qu’à redescendre et te joindre aux moutons qui paissent déjà en attendant le gros du festin ». Je ne me fis pas prier, et descendis les marches presque aussi vite que je les avais avalées lors de ma brève ascension. Je pris garde toutefois à conserver l’équilibre, car si une chute devant 3 adolescents attardés était une chose, se retrouver à terre devant tout ce petit monde qui commençait à emplir la salle en était une autre. Bien sûr, cette dernière était toujours loin d’être bondée pour le moment, auquel cas chaque âme présente dans la salle n’aurait pas l’occasion d’entamer une chute qu’elle serait soutenue par sa voisine telle deux sardines en boites. Mais à la faveur des allers et venues des curieux, et au-delà des fans qui campaient devant la scène, je sentais comme un changement d’ambiance ; une excitation presque imperceptible qui était partie de je ne sais où se promenait au milieu de la salle et se transmettait parmi le modeste public, ce qui du coup donner l’impression que ce dernier avait bel et bien augmenté depuis mon court périple dans les hauteurs de la salle.

Attentif à ce qui se passait autour de moi, je cru deviner d’où pouvait bien provenir ce changement d’atmosphère. En effet, si le public épars m’avait jusque-là semblé bien éclectique, je remarquais qu’un léger flot de personnes d’un genre bien particulier se déversait vers le côté gauche de la scène. Le flot était d’autant plus léger que parmi ces personnes, certaines ressortaient assez vite, comme si elles venaient en inspection, tâtaient l’ambiance. Ce groupe de personnes, qui clairement appartenait à un même genre musical, c’est ce que j’appelais des « métalleux ». Je ne me serais bien sûr pas amuser à les interpeller en utilisant ce mot somme toute bien caricatural. Pourtant, à les voir déambuler, parler entre eux, similaires les uns aux autres dans leurs attitudes, leurs manières de s’habiller, de se comporter, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une pointe de mépris à leur encontre. Si ce n’était pas là des caricatures de fans de musique de métal, je ne vois pas qu’est-ce d’autre qu’ils pouvaient être. Habillés en noir de la tête aux pieds, cheveux tellement noirs qu’ils viraient sur le bleu, je me demandais si les blonds avaient leur place dans cette communauté, où s’ils en étaient réduits à cacher cet honteux attribut dont la nature les avait pourvu sous une teinture. Certains arboraient un t-shirt noir uni, sans aucune marque distinctive, tandis que d’autres affichaient fièrement le nom et le motif d’un groupe fétiche. Je devais peut-être les regarder un peu trop attentivement, avec un regard mi-suspicieux mi-curieux, car l’un d’entre eux, tout en continuant sa discussion avec ses compagnons, me désigna d’un léger signe de tête. Je ne sais trop ce qu’il avait pu dire, mais tout le groupe se mit alors à rigoler d’un petit rire plutôt moqueur.

N’appréciant que moyennement le fait d’être le dindon de la farce et le sujet de conversations dont je ne pouvais pas mesurer le fond et tout juste la forme, je voulais profiter de cette occasion pour sortir de la salle et m’en aller tâter l’ambiance d’autres halls lorsque quelqu’un posa sa main sur mon épaule, sans doute l’un de ses métalleux qui voulait poursuivre sa moquerie. Je me retournais alors, et quelle ne fut pas ma surprise de contempler un visage qui m’était bien familier.

– Mickaël, m’exclamais-je ?

Je ne lui laissais pas le temps de répondre et j’enchaînais:

– Comment vas-tu ? Tu ne m’avais pas dit que tu venais assister au festival !

Un petit sourire bienveillant et un regard rieur éclairaient toujours son visage, qu’elle qu’en fut l’occasion, et celle-ci ne dérogeait pas à la règle. Il faut dire que mon air ahuri devait également y être pour quelque chose, puisque je ne m’attendais absolument pas à croiser des connaissances en ce lieu. C’est donc tout souriant qu’il prononça ses premières paroles :

– Oui, c’est un pote à moi qui m’a donné sa place, il n’a pas pu venir finalement !

– Veinard, lui dis-je ! Cela m’étonne tout de même de ta part que tu n’es pas pris le soin d’acheter ta place à temps quand moi j’y ai pris garde. C’est quand même l’événement à ne pas rater.

– Oui, mais tu sais, qu’il s’agisse de l’événement de l’année ou du petit concert de quartier, si j’assistais à tous les festivals et manifestations musicales du monde, je crois que le temps me manquerait pour faire d’autres choses.

Mon regard scrutait le fond de ses yeux pour lui arracher la vérité car je ne pouvais pas totalement croire en la sincérité de ses paroles. Il craqua alors :

– Oui ! Bon, tu as raison, honte à moi, c’est quand même l’événement ! Mais certaines choses m’avaient fait rater le coche cette année.

Je ne pouvais qu’acquiescer et je poursuivais :

– D’autres choses, comme ton groupe ? Où en sont tes recherches d’ailleurs ? Il me semble que tu étais notamment en quête d’un batteur et d’un guitariste ?

-Un bassiste plutôt, me corrigea Mickaël. Mais mes recherches n’ont pas étaient très fructueuses pour le moment.

Il regarda alors dans la direction des métalleux, et il ajouta :

– J’en ai profité pour parler avec un ou deux gars de ce groupe qui semblaient être intéressés. Il faudra voir. Autant saisir chaque opportunité qui se présente pour faire son marché, tant que je suis là !

Il héla alors une ou deux personnes du groupe que j’avais pris soin d’éviter. Je voulais alors me faire tout petit puisque je ne pouvais pas lui dire que je venais de prendre congé de ces mêmes individus ! Heureusement, ces derniers ne firent que renvoyer le salut de Mickaël. Au moins temporairement soulagé, j’en profitais pour faire ma mauvaise langue :

– Je vois que tu as encore du pain sur la planche pour te constituer le groupe de tes rêves. On ne peut pas dire que ces gars-là soient particulièrement motivés par tes plans de carrière.

En une fraction de seconde, j’avais peur d’avoir encore sorti les mots qu’il ne fallait pas. Après tout, j’accumulais les petites bourdes, non pas que cela me surpris, mais tant qu’à retrouver par hasard une connaissance d’agréable compagnie, autant ne pas tout gâcher par une remarque déplacée. Or, si cette dernière se voulait avant tout critique envers les énergumènes que j’ai déjà suffisamment évoqués, je me suis dit qu’il pourrait prendre celle-ci pour lui-même. Heureusement, mes craintes furent vite dissipées. Nullement perturbé, Mickaël sourit de plus belle :

– Parce que tu crois que j’ai un plan de carrière peut-être ?

Cette expression « plan de carrière » sembla beaucoup l’amuser, tant je l’avais prononcé avec sérieux. Il enchaîna :

– Tu as raison, c’est sans doute le problème. Sans plan de carrière, personne ne voudra de moi dans son groupe, encore moins en tant que père fondateur. C’est sans doute pour ça que j’attire plutôt les ados carpe diem.

– Ah ? Tu as fait passer quelques auditions alors ? J’imagine la scène quand la personne te téléphone : « Kikoo, c’est Lea, je kiffe grave le Metal et je suis gothique dans l’âme ».

Mickaël éclata de son petit rire :

– Tu plaisantes, mais c’était un peu ça il y a quelques jours. J’avais fait venir deux filles, deux copines en fait. Bon, elles jouaient toutes les deux de la basse, mais tu sentais que l’une était là juste parce que l’autre y était.

– Comment cela s’est passé alors ? Elles n’étaient pas d’un bon niveau ?

– Non, bien au contraire, elles étaient plutôt bonnes dans leur domaine. Cependant, je ne sais pas, le feeling ne passait pas vraiment. On les a faites jouer avec nous toute une après-midi, mais il manquait la petite flamme je crois. Finalement, le fameux plan de carrière était la source du problème à mon avis. Je ne les sentais pas trop motivées dans leur engagement envers un groupe.

– Et oui, tu as beau avoir 4 ou 5 ans de plus, c’est un saut générationnel énorme ! Tu es un vieux de la vieille désormais.

– Espèce de petit con !

L’insulte était bien sûr prononcée sur le ton de la plaisanterie, et je ne pus m’empêcher de lui rappeler qu’il était plus jeune que moi de deux années ! Il eut un air dépité, puis nous enchaînâmes sur quelques sujets sans grande importance concernant notre entourage professionnel commun.

Speedwriting #8 – Etrange tranche de vie

Était-ce en été, au printemps, au début de l’automne ? Je ne m’en rappelle pas. Peu importe. Nous sommes en fin d’après-midi, une belle après-midi comme je les aime. Ensoleillée, pas ou bien peu de vent d’autan ! C’est que nous sommes à Toulouse, alors quand ce maudit vent nous épargne, nous lui sommes redevables, et nous aurions bien tort de nous priver d’une petite balade en ville… Rose, comme ce surnom qui lui va si bien. Il n’y a qu’à regarder autour de nous. Nous sommes rue du Poids de l’Huile, autrement dit plein centre, à mi-chemin entre deux fameuse places, la place du Capitole à l’ouest, la place Wilson à l’est. On peut tourner la tête à droite, à gauche, regarder devant soi ou bien retourner sur ses pas, ce n’est que du rose, rose de ces briques de terre cuite qui tapissent les murs de bien des bâtiments du centre-ville. Je me promène avec Gilles. Les passants se déversent tranquillement dans les ruelles, tout autour de nous. C’est une après-midi plutôt calme, et nous nous promenons sans but précis, tuant le temps d’agréable manière comme bien d’autres gens. Nous évitons de succomber à l’appel du shopping et de ces magasins qui nous encerclent eux aussi. Je n’ai pas de mérites particuliers à cela, le shopping n’a jamais été mon dada, alors ce n’est pas par ce temps que je vais me cloîtrer dans une cabine d’essayage. Tout est tranquille, trop tranquille. Tellement tranquille que le moindre fait étrange ne manquerait pas de me faire sursauter ou à tout le moins sortir de ma torpeur.

Soudain, j’entends une petite mélodie parvenir à mes oreilles. Elle est très faible, certes, mais d’un coup mon alarme interne se déclenche. J’ai cette sensation d’un bruit familier et la désagréable impression que mes neurones pédalent dans le vide à chercher vainement le nom de cette musique que j’ai entendue un nombre incalculable de fois. D’ailleurs, plus de doutes, nous nous approchons de l’épicentre de cette turbulence musicale. C’est pour moi un petit tremblement de terre, car cette musique, je m’attendais à l’entendre partout sauf ici ! Des badauds forment déjà un cercle autour des musiciens. Un bien étrange attroupement pour une étrange bande de joyeux lurons ! Combien sont-ils ? 6 ou 7 je pense. C’est que ça remonte cet événement mine de rien. En moyenne des trentenaires, au look pour moi indéfinissable. J’ai un souvenir de vêtements bariolés, de tissus mal fagotés qui leur donne un style d’amuseurs de galeries. Ce qu’ils sont à n’en pas douter. Ce qu’ils sont aussi…talentueux. Nous nous sommes approchés derrière le premier cercle qui constitue le public de ce petit groupe. La même musique se déverse toujours en plein cœur de Toulouse, plus précisément au croisement entre notre rue du Poids de l’Huile et la rue d’Alsace-Lorraine. Nous nous situons en face du Virgin. Un bon coin pour attirer les flâneurs ! Un endroit idéal pour faire sa pub. La bonne humeur de nos musiciens est en tout cas communicative. Le public semble emballé. Un large sourire s’inscrit sur chacun de ces visages !

Mais quelque chose cloche, depuis le début. Comme je l’ai dit, cette musique, que je reconnais désormais, je ne m’attendais à l’entendre ici, à cette heure-ci, et encore moins en face de ce public-là ! Pour faire simple, et pour souligner le talent de nos artistes, ces derniers s’amusent à interpréter quelques tubes rock voire hard rock, à leurs manières, c’est à dire sans guitares, sans basses, sans batteries, qui sont très majoritairement les instruments de base des groupes rock. Et qu’utilisent-ils à la place ? Mon souvenir est flou. Sans doute me trompé-je. Mais je les qualifierais de percussionnistes entre autres choses, utilisant notamment des tams tams, peut-être des djembés, mais aussi des trompettes. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, la magie prend. On s’y croirait. Leurs interprétations sont sans fautes, au moins pour mes oreilles d’amateur ! Je suis d’autant plus subjugué qu’ils ne nous font pas l’affront de quelques Medleys à la va vite. Les quelques morceaux que j’ai pu entendre ont été joués dans leur quasi intégralité. Je prends de plus en plus de plaisir à les voir déballer leur musique et leur bonne humeur. Mais quelque chose cloche toujours. Je regarde les gens autour de moi. Peut-on tirer une statistique représentative de ce petit panel ? Oui ! Le compte est vite fait. Au milieu de quelques jeunes, certains ados, d’autres en âge d’être étudiants, je retrouve surtout des parents avec leurs gamins, voire des grands-parents avec leurs petits-enfants. Plutôt des femmes que des hommes d’ailleurs. Je rigole intérieurement. Cette scène me paraît tellement cocasse. Je remercie aussi ce groupe dont le nom me restera inconnu hélas, étourdi comme je l’ai été, sans doute trop absorbé par l’originalité de la scène qui se déroule devant mes yeux. Grâce à ces énergumènes qui semblent tout droit sortis d’un monde parallèle, ces gens si enthousiastes découvrent des musiques qu’ils renieraient sans doute dans d’autres circonstances. Quelles circonstances me direz-vous ? Attendez, le Virgin est juste à côté. Je me prête à rêver qu’en moins de 5 minutes, j’entre dans le magasin, j’accoure au rayon musique, CDs, genre rock, peut-être hard. J’y suis, A, B, C…I. Ah !! Je récupère le CD en question, passe à la caisse, ressort et présente le précieux sésame à l’une des grand-mères les plus enthousiastes du public. Sans doute me regardera-t-elle avec de gros yeux. Oui, sur la jaquette se dessine vaguement une jolie tête de mort souriante, mais pas forcément très avenante ! Devant son refus, je l’escorterai à faire un effort ! Non, mamie, ce n’est pas une musique sacrilège que voilà ! Si tu as aimé la musique de ces petits troubadours, tu aimeras la musique contenu dans ce CD. Elle me regardera avec de gros yeux, et elle essaiera de déchiffrer le nom du groupe. Iron quoi ? Iron Maiden mamie. C’est un vieux groupe, et ils ont presque ton âge maintenant ! La musique que tu as entendue mamie, la musique qui t’a tant emballée, la musique qui m’a interpellé tout à l’heure, qui m’a semblé comme une bizarrerie, c’était Blood Brothers mamie !

Speedwriting #7bis – Un avant-goût…

Je travaille depuis quelque temps sur une nouvelle, ce qui explique mon manque d’assiduité sur la tenue de ce blog. Afin de mettre un terme aux rumeurs les plus sordides qui circulent sur la toile et qui indiqueraient que j’ai simplement mis ma carrière d’écrivain (certes au stade embryonnaire) entre parenthèses, et aussi afin de rassurer mes lecteurs, voici un tout petit extrait de la nouvelle en question. Lorsque j’aurai conclu cette dernière, peut-être ce passage n’aura-t-il pas évolué d’un iota, ou bien peut-être aura-t-il disparu ! Qui vivra verra ! En attendant, ENJOY !

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Encore tout chamboulé par ce qui venait de m’arriver, je fus entraîné hors de la salle par un mouvement de foule irrésistible dont je ne cherchais même pas à contrer la marche. Tout effort aurait été de toute façon vain, tant la puissance que peuvent dégager des dizaines de personnes liées les unes aux autres tel un seul surhomme est impressionnante. Et parce que j’avais l’esprit trop embrumé pour entreprendre une quelconque action, c’est par instinct de survie que cette fabuleuse machine qu’est mon cerveau primaire se mit en branle afin de me permettre d’encaisser les coups inévitables et de suivre la procession tel un maillon de la chaine trop faible pour agir. Autant dire que je n’avais pas la moindre idée du lieu vers lequel j’étais censé aller. Je pense d’ailleurs toujours aujourd’hui que cette foule elle-même n’en avait pas la moindre idée. Elle fonçait vers sa destination sans réfléchir, inconsciente du chemin à emprunter, mais résolue à avancer. A posteriori, je me dis que c’est bien malgré moi que je me retrouvais parmi ces fameux moutons que j’avais tant méprisés. Mais était-ce le cas ? Dans ma temporaire fébrilité, je commençais à me prendre au jeu. Je ne voyais pas tellement de différences entre cet élément rouillé que je représentais, seulement porté par la foule, et l’automate que j’avais pu être en certaines occasions lors de soirées en boites de nuit, alors que les stroboscopes battent leur plein et que les musiques aux rythmes répétitifs et aux basses entêtantes martyrisent nos oreilles et réveillent nos jambes par ce mystérieux instinct de la danse. J’avais presque honte de me l’avouer, mais je ressentais du plaisir à être baladé par cette masse, de me laisser guider et de guider tout à la fois, malgré mes pas mal assurés. J’étais totalement grisé par ma propre impuissance. On a pour coutume de dire que le comportement d’une foule est un phénomène émergent. Je comprenais maintenant la portée de cette phrase. J’étais totalement convaincu à ce moment précis que nulle personne de la foule ne contrôlait les mouvements imprévisibles de cette masse bouillonnante. Pourtant, nous avancions tant bien que mal, et notre trajectoire ne m’apparaissait après tout pas si chaotique qu’elle en avait l’air au premier abord. Nous approchions de ce que j’appelais la croisée des chemins, portail central du festival qui conduisait aux trois plus grandes scènes. En face, l’océan…

Soudain, j’eus plus de places pour respirer. Je devais même faire des efforts pour me mouvoir, et je serai tombé de tout mon poids si mes réflexes m’avaient abandonné ! Preuve que la foule m’avait totalement porté, qu’elle avait porté chacun d’entre nous. De toute évidence, l’espace suffisant offert par ce carrefour avait cassé la plupart des maillons. Le charme était rompu. Je regardais autour de moi, nous étions tous transpirant, dégoulinant, trempés, la sueur nous enveloppés de la tête aux pieds. Quelques filles qui passaient à côté de moi enlevèrent leurs T-shirt, laissant apercevoir leur soutif et par-delà les tissus, leurs seins. Elles me jetèrent un regard approbateur tandis que j’étais momentanément fixé sur leurs attributs. Puis elles commencèrent à courir en direction de la plage. Celle-ci n’était pas à plus d’une centaine de mètre. Reprenant peu à peu mes esprits, je pouvais apprécier la légère brise qui caressait mon visage. Je fermais les yeux afin d’augmenter cette sensation de bien-être. Cette brise était si douce, elle semblait tellement bien s’y prendre avec moi que j’aurais pu la confondre avec mon âme sœur, la seule sans doute qui pourrait me caresser de la sorte, de manière si sensuelle, comme une caresse que seuls deux amoureux pourraient s’offrir. Le genre de sensualité que deux personnes qui se connaissent et se comprennent intimement partageraient une fois sans jamais l’oublier pour le restant de leurs jours.

Speedwriting #7 – L’Ultime Secret n’en ai pas un

Bonjour. Bienvenue à vous tous ici présent. Je vous remercie d’avoir favorablement répondu à mon appel, et d’être venus en si grand nombre. Je vous ouvre mes portes, mais ne vous méprenez pas. Vous n’entrerez pas dans mon univers – d’une part, telle n’est pas mon intention, et d’autre part, même si je le souhaitais, il me serait impossible de vous faire franchir le seuil. Aussi méritants que vous puissiez être, vous n’avez pas, vous ne pouvez évidemment pas avoir l’expérience, le vécu qui sont les miens en ce jour. Soyez en heureux. Je prie le ciel, je prie les étoiles, j’envoie mes pensées les plus profondes au-delà des frontières de l’univers – en a-t-il seulement ?- que vous n’ayez jamais à subir ce que j’ai vécu. La vie est un drôle de phénomène. Que l’on soit homme de science, homme de foi, ou les deux à la fois, on ne peut nier le miracle absolu de cet agencement spontané de la matière. Comment l’inanimé a-t-il pu laisser la place à l’animé ? Nul ne le sait. Mais le miracle de la vie a bien eu lieu. La vie est censée être une bénédiction. Une chance. Nous vivons, nous ressentons, nous aimons, nous rions, nous pleurons, nous haïssons, tels sont les lieux communs de la vie de tout un chacun. Quelques petits moments de bonheurs, quelques petits moments de malheurs, au final une équation à somme proche de zéro. La plupart d’entre nous n’est ni avantagée, ni lésée. Nous essayons de nous faire une place. Nous sommes tous plus ou moins égoïstes bien évidemment. Il est normal de penser d’abord à soi. Mais nous le faisons la plupart du temps avec les meilleures intentions du monde. Du moins, c’est ce que nous croyons. Avant d’aimer les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même. Et quand on aime, on ne refuse rien. On ne se refuse rien. Il n’y a aucune honte à se comporter de la sorte. Vous avez agi ainsi. Vous agirez encore ainsi. J’ai moi-même agi de la sorte. Oui, je le répète, il n’y a aucune honte à se conformer aux règles élémentaires de la Vie. Il faut bien se l’avouer, nous sommes prisonniers, bien plus que de nos désirs, de nos existences. Voilà le prix à payer pour ce miracle. Depuis des siècles, depuis que l’humanité est apparue, nous avons vainement essayé de trouver un sens à notre existence, ou bien de démontrer l’absence de sens, ce vide qui vous fait si peur aujourd’hui, et qui vous conduit vers moi. Je comprends votre angoisse. J’imagine que le cheminement a dû être douloureux. Ce moment, terrible, où l’on se rend compte, après toutes ces heures de torture intellectuelle, que nous ne sommes au final pas différents des autres. De notre voisin de palier que nous méprisons à l’envi aux premiers philosophes qui nous léguèrent leurs pensées il y a de ça des milliers d’années. Il est terrible de voir à quel point le progrès, cette science qui nous a apportés tant de choses, n’influence pas, et n’influencera sûrement jamais nos angoisses existentielles. Peut-être ces dernières sont-elles inscrites quelque part dans nos gènes, marquées au fer rouge. D’aucuns ont une foi illimitée dans le progrès ; j’y ai moi-même pris ma part. Mais qu’on se le dise, nulle équation ne déchiffrera jamais l’Ultime Secret. Car ce dernier n’existe pas, nous l’avons nous-même créé. Il fut pour des générations l’ultime châtiment, et il le restera pour les générations à venir, à jamais…Bien, après cette petite introduction, prenez votre livre au chapitre premier et débutons : « Pourquoi désespérer, l’humanité ne peut statistiquement que finir par s’éteindre ».

Speedwriting #6 – Duologue

– Je suis perdu…

– Non tu n’es pas perdu !

– Comment pourrais-tu le savoir ?

– Parce que pour se perdre, il faut d’abord savoir où l’on se trouvait l’instant d’avant.

– Tu insinues que je ne sais pas mener ma vie ?

– J’insinue que tu n’as jamais eu de ligne directrice, d’objectif précis. Tu t’es contenté de suivre un chemin que tu as emprunté par hasard et qui te convenait parfaitement jusqu’à cet instant. C’est là tout le danger de ces chemins formatés pour les esprits trop peu matures, trop faibles pour se construire leurs propres routes.

– Comment oses-tu ? J’ai des objectifs précis.

– Vraiment ? Alors comment se fait-ce que tu te sentes si isolé aujourd’hui au bord du chemin au point d’en appeler à moi. Ne devrais-tu pas retrouver simplement la bonne direction.

– Hmmm

– Regarde autour de toi, regarde derrière toi, devant toi, sur les bas-côtés. Raconte-moi ce que tu vois.

– Je vois…je vois tout, tous ces gens, sur les bas-côtés, je les connais. Je sais que je les ai croisés à un moment de ma vie, j’en suis sûr.

– Comment s’appellent-ils ?

– Je…je ne sais pas. Je n’arrive pas à mettre un nom sur leurs visages. Pourtant, je te promets que je les connais. Attends, c’est étrange. Pourquoi sont-ils tous sur les bords de la route ? Qu’est-ce que cela signifie ?

– A toi de me le dire !

– Il n’y a personne d’autre que nous. La voie, le paysage…tout se ressemble. Tu es en train de m’embrouiller volontairement !

– Bien sûr que non.

– Bien sûr que oui. J’ai l’impression d’être perdu aux confins de l’univers, aux frontières du temps et de l’espace, là où s’orienter n’aurait plus de signification. Pas de nord et par conséquent aucun autre point cardinal. Voilà la sensation que je ressens. Je ne sais même plus par où je suis venu !

– C’est le propre de ces chemins. Faciles à emprunter, appréciés pour leur confort, mais une fois à l’intérieur on s’y perd, on ne différencie plus rien.

– J’ai l’impression d’entendre Yoda…

– Comme quoi il n’avait pas tort sur tout !

– Trêve de plaisanteries. Aide-moi. Je t’en supplie. Je ne sais plus où aller, vers où me diriger. Pourrais-tu guider mes pas ? Tu es mon seul et unique espoir.

– Comme tu y vas ! Crois-tu vraiment ce que tu dis ?

– Pourquoi serais-tu là autrement ? Et d’abord, comment es-tu arrivé jusqu’ici ?

– J’ai fait comme toi, j’ai choisi la facilité.

– Tes leçons de moral, tu peux les garder.

– J’ai pourtant bien le droit de te faire la morale. Que cela te plaise ou non, car c’est toi qui m’a emmené jusqu’ici. Et j’ai été bien gentil de ne rien dire jusque-là. A vrai dire, j’espérais que tu saurais ce que tu faisais et que tu nous sortirais de ce bourbier. Mais plus le temps passait, plus tu t’entêtais à avancer.

– Pourquoi ne m’avoir rien dit plus tôt ?

– Parce qu’il n’est pas dans nos coutumes de venir vous voir. C’est à vous de venir à nous. Mieux vaut tard que jamais ai-je envie de dire…même si tu as perdu beaucoup de temps, il est encourageant que nous ayons aujourd’hui cette conversation, qui sera salutaire je l’espère.

– Mais explique-toi ! Pourquoi t’aurais-je emmené jusqu’ici. T’aurais-je récupéré au cours de ma traversée, sans même le savoir ?

– Ouvre les yeux, bon sang ! Peut-être étais-tu aveuglé par le chemin. Il est tellement attractif en effet. C’est l’une de ses nombreuses qualités, l’une de ses nombreuses perversités aussi ! Cependant, je ne crois pas que tu sois si faible. Tu savais très bien où tu t’engageais. Et puisque je suis maintenant à tes côtés, il est certain qu’il était dans tes desseins de me retrouver à un instant donné, l’instant que nous vivons en ce moment même. Il t’a fallu néanmoins me cacher au plus profond de toi même, de telle sorte que tu puisses avancer assez longtemps sur le chemin sans être alerté par ma présence. Mais tu ne m’as pas caché aussi profondément que la plupart des gens de ton espèce. Tôt ou tard, tu savais que j’apparaîtrais.

– J’aurais donc les clés ?

– Tout se trouve devant tes yeux. Cette image qui te semble si confuse, n’est-elle pas un leurre ? Même dans le chaos règne un certain ordre. A toi de trouver l’élément qui te permettra de débloquer les verrous…

Speedwriting #5 – Délirium

Une voix résonne dans ma tête. L’écho de ma pensée se débat et erre dans le néant de mon esprit. Je ne sais plus qui je suis…Le sang, le sable, l’eau, mes cheveux se mélangent dans ma bouche. Je ne vois plus rien, le soleil n’est plus et la lune rouge m’aveugle. La peau qui tiraille, la tête qui tourne, cette main qui m’a touchée me brûle la peau, me brûle le ventre. Je ne connais même plus son possesseur. Et elle restera avec moi, marquée au fer rouge ! Je n’ai rien, si ce n’est cette détresse de savoir que j’ai tout perdu. Ce souvenir, c’est consciemment qu’elles me l’ont laissé. Aurai-je le courage de me relever. Je m’enfonce de plus en plus dans ce sable détrempé. L’océan fait des siennes. Les vaguelettes laissent désormais place à une écume bouillonnante et écœurante. Je connais le goût de cet océan. C’est l’amer goût de ma défaite. L’endroit où j’ai cru vaincre. Je suis à bout de forces. Et je commence à suffoquer ! Mes poumons se remplissent peu à peu. Mon pouls s’accélère. J’ai tellement peur. Cela ne durera pourtant que quelques secondes. Au bout m’attendent la paix, le calme, la sérénité. Je suis à l’endroit où j’ai toujours rêvé d’être. Celui que je n’ai cessé de réclamer à cors et à cris. Je n’ai pas choisi la voix que l’on m’a tracée. Des larmes ruissellent sur mon visage, les dernières. Je peux les distinguer parmi ces milliards de molécules qui naviguent désormais sur mon visage. Elles s’écoulent doucement, délicatement. Comme si elles savaient. Elles profitent de ce dernier moment. Elles caressent mon visage et de mon œil, elles choisissent chacune leur chemin. Ma peau s’est écaillée, mais elles ne m’en tiennent pas rigueur. Au contraire, elles l’adoucissent. Un seul être au monde avait le pouvoir de m’adoucir de la sorte. Mais qui est-il ? Qu’est-il devenu ? Mon cerveau est vide de réponses, rempli de questions, d’impressions. Pourquoi m’avoir laissé dans une telle ignorance ? Puis-je partir en ayant tout oublié ? Là-bas, seule, perdue, incapable de recouvrer mes sens, je serai libre, libre de devenir une furie. Je déverserai ma haine dans l’espace infini où l’on m’aura abandonnée. Condamnée à l’ignorance éternelle. Destinée à désespérer. Désespérée par cette destinée.

En fin de compte, au bout ne m’attendent ni la paix, ni le calme, ni la sérénité. Je dois à tout prix me relever. Mes bras s’enfoncent davantage dans le sable. Les battements de mon cœur commencent à ralentir. Je me sens mieux. Je réussi à glisser ma main sous ma poitrine. Je ne sens rien. Je n’entends rien. Serais-je nue ? Je ne tolérerai pas que l’on me retrouve dans cet état. Sous mon sein gauche, je sens une cicatrice. Elle n’a pas de liens avec ce que je suis en train de vivre. J’enrage de ne pouvoir débloquer les verrous de ma mémoire. Je voudrais par n’importe quel moyen briser ces chaînes. Elles ne sont pas tant les portes de mon passé que de mon avenir que j’hypothèque un peu plus à chaque pensée. Dans quelques secondes je serai morte. Est-ce que je suis déjà folle ? Comment distinguer le délire à l’approche de l’instant zéro du délire dans lequel je suis plongé depuis ce moment où je me suis retrouvée privée de tout ce qui me liait à l’univers ?

…La lune rouge a disparu. Elle ne m’aveugle plus. Un parterre magnifique d’étoiles se dévoile à moi. Je me suis libérée de l’étreinte du sable et de l’océan. Ce dernier s’est arrêté de rugir pour laisser place à une mélodie apaisante. Je n’ai toujours pas la force de me relever. Tout juste puis-je basculer la tête pour constater ma nudité. Je retourne contempler ce ciel rempli de mystères que nul homme ne percera sans doute jamais même s’il avait l’éternité pour le faire. Ma respiration se fait plus régulière. Ces constellations me semblent familières. Je ferme les yeux. Entreverrais-je ainsi ce que mes yeux ne peuvent distinguer ? Mon ouïe est décuplée. Chaque note, chaque son, chaque mélodie peuvent être mis à nu. Telle une mosaïque, je me fais une idée plus précise de l’environnement qui m’entoure. Devant, l’océan. Derrière, au loin, les falaises abruptes. Une respiration, la mienne. Une respiration, plus brute, plus irrégulière, celle d’un étranger. Il se dirige vers moi à allure modérée. Quelles sont ses intentions ? Je ne peux les deviner. Pas plus que ce qu’il adviendra de moi dans quelques foulées. Au fond, qu’importe. J’ouvre les yeux. Un nouveau monde apparaît soudain. Je tourne la tête. Une silhouette se dessine. Elle s’arrête soudain. Que pense-t-elle à cet instant ? Est-elle troublée par mon état déplorable, par ma nudité peut-être ? Ou bien ne serait-elle pas l’instigatrice de ma situation présente. Elle semble hésiter…Je jurerais qu’un conflit intérieur l’habite, dont je ne devine pas les raisons. Simple ou complexe, elle le résout promptement. Elle s’approche à nouveau. Que veut-elle ? Que va-t-il m’arriver ? Advienne que pourra…

Speedwriting #4 – Hypocrisie

Premier épisode de la saga des Speedwriting en cette année 2009.

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En ce dimanche, X n’a pas envie de sortir de chez lui. Non pas qu’il soit trop fatigué après une semaine épuisante, puisque le travail ne fut pas spécialement prenant ces derniers jours. Non pas qu’il fasse trop mauvais, puisqu’il y a dehors un soleil magnifique, signe que le printemps s’est installé pour de bon. Non pas qu’il se soit couché trop tard ce samedi soir, puisqu’il est resté bien sagement dans son appartement à lire un bouquin et à se perdre dans les méandres du web comme il aime à le faire bien souvent. X n’a juste pas envie de sortir de chez lui aujourd’hui, alors pourquoi le ferait-t-il ? Est-ce si étrange que ça de rester chez soi par un dimanche ensoleillé ? Certainement pas, X en est persuadé. Par contre, ce qui est plus inquiétant, c’est le fait que X se pose désormais ce genre de questions. Ce dernier est bien connu de sa famille ainsi que de ses amis pour penser plus que de raison. A trop vouloir rationaliser les événements, des plus importants aux plus insignifiants, on n’en sort strictement rien, si ce n’est ce sentiment de frustration qui nous accompagne faute d’avoir obtenue les réponses que l’on souhaitait. Mais qu’est-ce que X souhaite au juste en se tourmentant de la sorte, posé à son bureau, prostré, le regard perdu sur une mappemonde qui commence à faire son âge ? X voudrait simplement se rassurer, trouver une justification à sa supposée « paresse ». Pourtant, en dépit de toutes ses analyses, la seule explication qui tienne est simplement qu’il n’y a rien d’anormal à rester chez soi. Autrement dit, autant tirer sur une mouche avec un bazooka si c’est pour aboutir à ce type de réponses. Finalement, après avoir fait un tour sur le net, regardé ses mails, et traîné sur Facebook, X se replonge dans la passionnante histoire qu’il avait laissé en plan quelques heures plus tôt.

Les semaines passent, et tout va pour le mieux dans la vie de X. S’il est une chose que X exècre plus que tout, c’est la routine. Certes, il sait bien que pour le moment, il ne peut échapper à cette dernière, surtout due à son travail, mais il n’a pas trop à se plaindre. Ce n’est pas tant son travail, plutôt plaisant et varié, que l’aspect répétitif des levées au chant du coq et des batailles de klaxon et des bousculades qui lui pèsent, et qui reviennent inlassablement à la charge, chaque matin et chaque début de soirée, quel que soit le jour de la semaine. Même les périodes de vacances scolaires ne sont plus synonymes d’une légère accalmie comme cela semblait être le cas si l’on remonte quelques années en arrière, du moins si l’on en croît les collègues de X, les vieux sages comme il se plaît à les appeler, non sans une certaine ironie. Mais X va bien. Son humeur, fortement accordé sur les saisons, est excellente. Rien de tel que la venue du printemps pour le revigorer. Dynamique comme jamais, X peut s’investir davantage dans les activités qu’il s’accorde après le boulot. Lundi soir et jeudi soir, c’est volley. Mercredi soir, c’est libre, autrement dit, généralement réservé aux petites bouffes ou aux sorties entre potes selon les cas. Enfin, mardi soir et vendredi soir, c’est séances de solfèges. C’est sans conteste l’activité dont X est le plus fier. Sa famille n’a jamais pratiqué la musique, et par conséquent, petit, X n’a jamais joué d’un instrument, si ce n’est la sacro-sainte flûte imposée durant les 4 années de collège. Il n’était d’ailleurs pas mauvais lorsqu’il se prêtait à cet exercice, mais il regrette de n’avoir pas osé aller plus loin à l’époque. Il considérait avec un certain dédain non dénué de jalousie les apprentis rockeurs qui fleurissaient au lycée. Au fond de lui, il aurait voulu faire comme eux, mais ne s’en était-il jamais donné les moyens ? X ne connaît que trop bien la réponse à cette question. Alors il prend dorénavant le taureau par les cornes. Son boulot lui plaît et paye plutôt bien, sa semaine est bien remplie et truffée d’activités extra-professionnelles, et même s’il ne s’en vante pas, il sait que ses amis et ses connaissances sont au courant. Au final, seuls ses week-ends font pâles figures et paraissent bien vides. Le seul bémol dans une vie bien remplie. X n’arrête désormais plus de se persuader que ce n’est pas le cas, qu’il n’est pas obligé de s’abreuver d’activités dites « sociales » pour passer une bonne fin de semaine. Ainsi, même si personne parmi ses proches ne lui en a jamais soufflé mot et ne lui a jamais fait de remontrance à propos de ces week-ends peu divertissants, X commence à imaginer des choses qu’il aurait pu faire, et qui paraîtrait bien aux yeux de son cercle social. Il suffit de peu de choses pour transformer sa fin de semaine en une somme d’événements palpitants. La méthode privilégiée par X, c’est celle qui consiste à inscrire un petit mot sur son profil sur Facebook, de manière à ce que ses amis, et ses connaissances, comprennent bien que X est heureux, exténué même, la faute à un week-end un peu trop actif. Au fond de lui, X se pose alors une nouvelle question. Pourquoi mentir ? Pourquoi s’inventer « une vie », même si ce n’est que pour deux jours ? Tant de questions qui commencent à le fatiguer. Son entourage a raison, qu’il arrête avec ses débats métaphysiques, ses crises existentielles, et qu’il se laisse vivre. Ce n’est pas un drame de mentir, pour la « bonne cause ». Ça ne vaut pas le coup de culpabiliser pour si peu. Et puis après tout, X en est persuadé, les autres en font autant.

La fin d’année arrive et l’été s’annonce radieux, après un mois de juin aux températures déjà caniculaires qui a vu fleurir la course aux climatisations et autres brumisateurs. X tente autant que faire se peut de rafraîchir son appartement, situé au dernier étage d’un parterre d’immeubles flambants neufs. S’il a choisi de s’installer au cinquième, c’est pour éviter les débordements de voisins un peu trop bruyants, malheureuse expérience qu’il a connu à la toute fin de ses études. En dépit d’une chaleur et d’une moiteur extrême, sans doute supérieures à celles des voisins d’en dessous, X ne regrette pas son choix. Ou du moins, tente-t-il une nouvelle fois de se convaincre. Son logement est un havre de paix toute l’année, en dehors de ce type de phénomènes météorologiques extrêmes. De plus, X est jeune et vigoureux, et la chaleur ne l’incommode pas plus que ça, au contraire, elle sied justement à son humeur. Humeur qu’il a pourtant paradoxalement en baisse ces temps-ci. X se doutait bien que quelque chose n’allait pas ces dernières semaines. La faute à cette maudite fin d’année qui le prive de ses activités préférées. Le club de volley et les compétitions ne reprendront pas avant la fin du mois de septembre. Ses cours de musiques s’achèvent aussi à un bien mauvais moment, alors qu’il progressait notablement. Certes, X vient de faire l’achat d’un piano, mais ses connaissances et son talent seront sûrement peu à même de tirer les meilleurs sons de l’instrument. Enfin, un certain nombre de ses amis partent déjà en vacances, à la mer, à la montagne, en hôtel ou en camping. X va devoir attendre le mois d’août pour faire une pause. En outre, la plupart des amis de X sont en couple et partent en couple ou entre couples. Lui, célibataire plus ou moins volontaire, connaît quelques relations rapides, mais rien de bien sérieux qui puisse durer. X se demande souvent quelle est cette étrange ironie du destin qui fait que nombre de son entourage est en relation sérieuse alors qu’il aurait plutôt l’impression qu’en moyenne, les jeunes de son âge papillonnent de relations en relations, peut-être par peur de l’engagement. Pour ne rien arranger, les messages d’amour fleurissent sur Facebook, entre « mon chérie » par ci et  « mon week-end en amoureux » par là. Sans compter les photos que X ne peut s’empêcher de parcourir avec une certaine amertume.

Ils ont tous l’air tellement heureux. Lui aussi, il n’y a pas si longtemps, il respirait le bonheur. D’ailleurs, ses amis jureraient que c’est toujours le cas, X en est certain. Mais X se pose à nouveau plein de questions. Les bonnes vieilles habitudes reprennent le dessus. Était-il vraiment heureux tout ce temps ? Multiplier les activités n’a pas été désagréable pourtant. Cela lui a permis de s’aérer l’esprit et faire de nouvelles rencontres. Mais où sont-elles aujourd’hui ces nouvelles têtes ? X se rend compte de la superficialité de ce genre de relations. Ce ne sont pas ces personnes qui viendront prendre de ses nouvelles cet été. Quant à ces week-ends qu’il fallait absolument remplir, cela le rendait plus malheureux qu’autre chose. X s’en veut tellement, car finalement, personne ne lui a mis le couteau sous la gorge pour le forcer à se dépoussiérer les os. Personne en particulier du moins. Mais tout le monde en général. Ce monde qui ne vit désormais que par l’apparence qu’il donne de sa vie, une vie qui doit être conforme à la norme. Il faut être dynamique, sortir, faire des activités, avoir un cercle d’amis mais aussi un cercle de connaissances, le plus important, celui qui permet de multiplier les « Friends Request » sur Facebook ou d’autres réseaux sociaux. Ce phénomène rend X totalement malade. Pour en arriver à avoir honte de passer son week-end chez soi, même en étant actif, c’est que le malaise est vraiment profond. Mais que faire contre cette vague qui emporte la société toute entière. S’en rend-t-elle seulement compte ? X se met à maudire ce nouveau culte de l’apparence, ou plutôt du succès, de sa vie professionnelle et surtout extra-professionnelle. Alors, que doit-il faire ? Comment agir et dire stop à tout cette mascarade ? X réfléchit profondément, mais le fruit de ses réflexions est succinct. S’il promet de ne plus se forcer à faire des choses pour sembler dans la norme et apparaître convenablement aux yeux des autres, il ne peut se permettre de sortir totalement de la vague qui l’emporte malgré lui. Ce serait se tirer une balle dans le pied. X va sur Facebook, tombe sur deux trois niaiseries d’amoureux et quelques photos d’une soirée où tout le monde à l’air si joyeux. Ce serait facile d’effacer son compte et d’envoyer le système se faire foutre. Mais finalement, X va faire comme tout le monde, mentir, enjoliver, faire l’hypocrite. Jouer le jeu. X s’apprête à passer un mois de juillet merveilleux, et dans quelques heures, tous ses « amis » seront au courant.

Speedwriting #3 – Leiga

Changement de décors pour ce troisième opus de la saga des Speedwritings. Après avoir flirté avec le récit poétique et le questionnement existentiel, je laisse libre cours à mon imagination dans un exercice de pure fiction.

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Le livre reposait au fond de la boite que nous avions récupérée le matin même. Ce dernier me fit une impression étrange. J’étais persuadé qu’entre nos mains se trouvait peut-être un témoignage du passé, mais n’importe qui aurait pu affirmer que le bouquin venait tout juste de sortir de l’imprimerie. Si j’avais acquis toute l’expertise du technicien au fil de mes nombreuses fouilles, dans des brocantes, chez les gens, dans les vieilles bâtisses abandonnées et les endroits où la place d’un livre est plus qu’inattendue, j’avais quelque chose de plus. Cette sensibilité qui manquait cruellement selon moi aux gens qui partageaient ma passion. En dehors du fait que le livre semblait neuf et insensible aux aléas du temps, il était d’un aspect tout ce qu’il y a de plus quelconque. D’une taille relativement modeste, et d’une épaisseur d’un petit centimètre, sa couverture légèrement bleutée ne laissait apparaître aucun titre, aucun signe qui auraient pu avoir une quelconque signification. Un bleu délavé, comme si l’intention avait été de faire disparaître toute inscription. Le résultat était plus que parfait, étant donné l’état du livre.

Ma sœur me donna soudain une tape sur la tête. J’étais perdu dans mes pensées. Je savais qu’elle mourait d’envie de le toucher elle aussi. Bien des choses nous différencient, mais sûrement pas notre passion et notre sensibilité commune. Je tendais le livre, qui avait dû être l’objet de tant de convoitises, comme c’était le cas en cet instant. Ma main tremblait, pas celle de ma sœur. Sure d’elle-même, elle saisit le livre comme elle aurait récupéré un vieux torchon. Ses yeux parlaient néanmoins pour elle. Ils brillaient d’une lueur nouvelle. Si elle regardait un jour un homme avec ce regard là, ce dernier aurait du souci à se faire. « Ouvre le ! » me dit-elle soudain. Je ne prie pas la peine de la faire répéter, je saisis le livre et l’ouvrais au hasard d’une page.

Je restais un moment figé, mon œil scrutant la page de fond en comble, comme si je ne pouvais croire ce que je voyais. L’espace d’un instant, j’avais cru apercevoir quelques lignes rédigées dans un dialecte que je ne reconnaissais pas, mais instantanément, ces lettres prirent vie, se mouvant délicatement, comme si l’espace de la feuille représentait naturellement leur monde. Le plus incroyable, c’est que j’étais désormais parfaitement capable de lire les phrases qui se présentaient à moi.

J’entrepris alors de lire le texte. Je voulais que ma sœur partage ce moment en même temps que moi ; et bien que nous sachant pertinemment seuls, je ne pu m’empêcher de n’émettre qu’un léger murmure, non pas de peur qu’une personne mal avisée ne nous surprenne, mais parce que je sentais que nous avions été choisis, et que les informations que le texte allait nous révéler ne s’adressaient qu’à nous.

Voici ce que vous auriez pu entendre, si vous aviez été présent avec nous en ce jour si spécial :

L’aube ne se lèvera pas une dernière fois sur Leiga. Les rayons du soleil, encore si bas sur l’horizon, ont beau transpercer les quelques nuages de cette matinée qui paraît si tranquille, Leiga n’est plus. C’est aux dernières heures de la nuit que celle-ci fut totalement consumée. D’aucuns, parmi les survivants, rejetteront la faute sur X ; ils l’ont pourtant souhaité à la tête du conseil. X n’a pas démérité dans sa tâche, ô combien ardue, d’unifier une fois pour toutes les différentes ethnies de Leiga. Plus grand port marchand de toute la côte, Leiga n’avait jamais autant drainé d’étrangers qu’au cours des trois derniers siècles, avides de richesses, d’aventures, ou fuyant tout simplement leurs contrées peu hospitalières pour un monde meilleur. Leiga s’est alors agrandie de manière exponentielle, et cette croissance effrénée ne fut pas sans heurts. Pourtant, Leiga n’a jamais eu la réputation d’être une ville de brigands. Les gens connaissaient les endroits mal fréquentées, et les heures au cours desquelles il ne valait mieux pas s’aventurer dans certaines ruelles, sous peine de se voir retirer sa bourse, si ce n’est plus. Le phénomène n’est pas propre à Leiga, il est même le dénominateur commun de toutes les grandes villes. Les tensions entre les différents peuples ont toujours été sous-jacentes, bridées naturellement par des hommes à la poigne de fer, authentiques petits gouverneurs de leurs quartiers respectifs. Les tensions n’éclatant ainsi au grand jour qu’en de rares et désormais fameuses occasions.

C’est au cours d’une de ses rixes que je rencontrais trois individus qui allaient bouleverser le cours de ma vie…

Speedwriting #2 – Rêve

Bonjour à tous. Voici mon deuxième texte speedwrité ! Bien que d’un genre totalement différent du premier, les deux textes ont en commun de faire appel à mes émotions du moment. Tandis que le premier se faisait davantage l’écho de mes sentiments « romantiques » et était intégralement dédié à un être cher à mon cœur, celui-ci repose davantage sur ma propre personne, à travers un questionnement existentiel somme toute classique.

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 » Un jour, c’est sûr, je réaliserai mes rêves… « 

Lequel d’entre nous n’a jamais prononcé cette phrase avec cet enthousiasme censé caractériser la jeunesse, à un moment où l’on se croit invincible et que les barrières ne sont point infranchissables. On y croit sincèrement, au plus profond de nous-mêmes. Chaque jour qui passe n’est qu’un jour de moins avant que le rêve ne s’accomplisse. Bien sûr, quand on est jeune, il arrive que l’on confie ce genre de choses à ses parents, sans doute à la fois pour les défier, pour leur dire que notre vie à nous sera palpitante, différente, et à la fois pour recueillir leur soutien. Alors au début, on a droit à de francs encouragements. Mais le temps passe, et le discours change. On nous dit :  » Bien sûr que tu as le droit de garder tes rêves, peut-être bien qu’un jour viendra où ceux-ci se réaliseront. Mais en attendant remets les pieds sur terre ». Alors on remet effectivement les pieds sur terre. Je remets les pieds sur terre. J’ouvre grands les yeux. Plus on grandit, plus le temps passe vite, et vient le moment où on se dit que finalement, ses rêves, on ne les réalisera peut-être jamais. Mais c’est normal n’est-ce pas ? C’est le cycle de la vie, les rêves fous appartiennent à la jeunesse, et en vieillissant on comprend que l’on était bien naïfs, que la vie c’est autre chose. Des moments de plaisir, certes, mais aussi des responsabilités, divers soucis. On se complaît alors dans ce cycle. Il n’y a pas de raisons d’y échapper, personne ne le peut. Il n’y a qu’à voir autour de nous. Quiconque affirmerait le contraire serait au mieux traité de naïf, au pire de grave immature. Et c’est normal n’est-ce pas ?

Non ce n’est pas normal. Pourquoi le serait-ce ? Ce n’est pas parce qu’à un instant donné, pour une situation donnée, un groupe de personnes a décidé que les choses devaient se passer d’une certaine manière, de la manière dont ils ont toujours vu les chose se dérouler, que les choses doivent effectivement se passer de cette manière. Le schéma que tout le monde connaît possède évidemment un aspect rassurant. Il est familier, éprouvé par de nombreuses générations. Si quelqu’un tente de s’en écarter un tant soit peu, il est tout de suite rappelé à l’ordre. A la jeunesse, on peut pardonner, puisque l’on est tous passé par là, mais au bout d’un moment, il faut agir. Quelles sont les raisons profondes qui poussent les gens à mettre des barrières à nos envies ? La peur peut-être, ou bien encore la jalousie ? Tandis que l’on peut admettre que des parents éprouvent le premier sentiment, le second correspond plutôt à un phénomène de groupe. Nous n’avons pas fait cela ; nous n’avons pas eu le courage de le faire. Nous ne tolérerons pas que lui, qu’elle, puissent le faire. Le premier sentiment part d’une bonne intention, mais se révèle au final stérile dans la majorité des cas. Sortir des sentiers battus, arpenter un chemin inconnu, est un acte risqué, soit. Mais si l’on ne prend pas de risques, les gains seront nuls eux aussi. Le second sentiment est davantage pernicieux. Plus diffus. Il provient en grande partie d’un entourage qui sort du cadre strict de la famille. Peut-être même que des gens qui n’en ont même pas conscience nous influencent, nous freinent ? Manquons-nous donc de courage ? Je ne le sais pas. Pourtant, je sais que lorsque quelqu’un réussit effectivement à sortir du chemin qu’on lui a tracé, je suis admiratif. Je me dis que lui a eu le courage de n’écouter que son cœur, tandis que moi… Alors pour me consoler, je me dis que cet être singulier – d’aucuns diront marginal – n’est qu’une exception. Il a réussi à réaliser ses rêves, ou du moins une partie de ceux-ci, et il ne s’en sort pas si mal. Mais combien d’autres ont pu tenter le coup, et au final, subir un échec cuisant. Ils perdent alors sur les deux tableaux. Non seulement, ils s’en sortent mal, mais en plus ils doivent supporter le souvenir d’un rêve qu’ils n’ont pas pu accomplir. Le fameux prix à payer pour avoir pris le risque. On peut tout aussi bien gagner beaucoup que perdre gros.

Alors je serai plus malin que les autres, j’assurerai mes arrières. N’est-ce pas déjà ce que je suis en train de faire ? A défaut de réussir, je veux au moins tenter le coup. Et qui sait alors si :  » Un jour, peut-être, je réaliserai mes rêves… « .

Speedwriting #1 – Photo

Bonjour à mes nombreux lecteurs ! J’inaugure avec cette entrée un concept qui me trotte dans la tête depuis un certain temps et qui me tient à cœur. Ce concept, c’est le speedwriting. Non pas le speedwriting au sens de la fameuse technique de prises de notes basée sur des signes de ponctuations. L’idée que je me fais du speedwriting, c’est l’écriture, en une heure ou deux environ, d’un texte. Peu importe le genre, peu importe le style. L’inspiration du moment pour seul guide, telle est la règle. Je me doute que ce concept doit déjà exister, aussi je ne déposerai pas de brevet a priori ^^ Par ailleurs, je m’inspire des techniques similaires qui existent en dessin.

Le texte que je vais présenter ci-dessous a donc été fait en une heure environ. J’ai eu l’occasion de l’écrire au cours d’un atelier d’écriture, mené par un écrivain, M. Y.C. et je dois dire que c’est un environnement très stimulant pour laisser parler son imagination et ses émotions du moment. Lorsque l’atelier se termine, nous avons la possibilité de lire pour l’ensemble du groupe notre œuvre. Je dois dire que j’ai hésité longuement avant de me lancer pour ce texte, d’un genre un peu spécial pour moi, mais je ne regrette pas, ayant reçu de plutôt bons échos au final !

Place au texte :

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Pourquoi un tournesol ? Je n’en ai que faire de ce maudit tournesol. Oui, il m’a tout l’air d’être fané en plus. Au moins avant tu avais la décence de mettre le tournesol en arrière-plan seulement. Maintenant, il n’y a plus d’arrière-plan, il n’y a plus qu’un plan. A moins qu’il n’y ait plus de plan du tout. A quand le noir absolu ? Non cela ne te ressemblerait pas. Tu n’irais pas jusque-là. Tu mettrais sans doute un champ de tournesols. Un plan, un seul, large comme il faut ? Ou alors plein de tournesols, et là il y en aurait des plans ; un premier, un second, un troisième. Je friserais l’indigestion. Mais ça ne te suffirait pas. On pourrait même apercevoir le ciel, le plafond serait bas, gris, sinistre, le vent soufflerait et se devinerait à travers la courbure des immondes plantes.

En dépit de tout ce que tu me feras subir, je te chercherai encore et encore à travers la photo. Je jurerai t’avoir aperçue, tantôt au premier plan, tantôt quelques rangées plus loin. J’irai même visiter celles que les lois de la physique m’interdiraient d’atteindre. Je croirai reconnaître une silhouette. A chaque fois mon cœur bondira dans ma poitrine. Mais à chaque fois tu auras un temps d’avance sur moi et tu disparaîtras sans que je puisse te localiser. C’est malin de ta part tous ces tournesols. Mais si je continue à te poursuivre peut être verra-t-on à un moment la fin de ce maudit champ.

Oui elle est là l’idée. Il me suffit de courir tout droit désormais. Tu ne pourras pas t’enfuir par les côtés, de toute façon ils n’existent pas. D’un pas alerte désormais, je me précipite et sans réfléchir je cours, j’affronte les plantes, encore les plantes, toujours les mêmes plantes, je me prends des coups mais peu importe, seul compte la ligne d’arrivée, le moment où j’aurai passé cette fameuse dernière rangée. Elle doit bien exister. Je cours depuis des heures. Je n’ai pas aperçu une trace de ta blonde chevelure. Je suis épuisé mais je ne désespère pas de te rattraper. Les tournesols commencent à changer d’aspect. Non, en fait ce sont toujours des tournesols, mais quelque chose d’étrange se produit.

Oui, ça y est, j’y suis, j’arrive au bout de la photo, et tu es arrivé au bout de ton stratagème. Tu en as eu à revendre de tes maudits tournesols. Mais je vois désormais par transparence. Je redouble d’énergie. Bientôt je n’apercevrai plus rien. Et alors je t’apercevrai. Oui ça y est, la dernière rangée est franchie. Je m’arrête, je reprends mon souffle. Cette fois-ci tu ne peux plus te cacher. C’est la plaine à perte de vue. Tu es à cours d’imagination. En dépit de tous tes efforts, tu ne peux pas t’échapper. Tu le sais. Tu t’es même résignée, je t’aperçois désormais à une centaine de mètres devant moi. Tu me dis d’approcher. Je n’hésite pas. D’un pas décidé, je m’avance. Je distingue bien mieux ta silhouette désormais. Je serai bientôt à quelques mètres de toi. Je vois tout désormais. Je croise ton regard et j’esquisse un sourire. Toi tu l’esquisses depuis longtemps. Pourquoi cet air figé ? Bientôt je pourrai te toucher et alors tu réagiras. Même si tu ne parles pas, tes gestes le feront pour toi. J’approche désormais ma main de ton visage. Je veux simplement pouvoir caresser ta joue. Mes doigts effleurent ta peau. Elle est douce mais si froide. J’attends une réaction. Tu ne bouges pourtant pas. Mais j’insiste, je pose mes deux mains sur ton visage, je glisse sur ton cou. Je remarque alors que tu ne portes pas de collier. Cela me rappelle un souvenir. C’est cela en effet, tu as oublié ton collier peut-être. Mais tu n’as pas oublié ta robe. Je ne peux t’imaginer plus belle que dans cette tenue. Rien ne peut transcender ta beauté et ton charme davantage. Tu as même mis les souliers rouges. Mais qu’aperçois-je à tes pieds ? On dirait quelques photos de toi que tu auras fait tomber par mégarde. On peut deviner un tournesol dessus. Mais cette fois-ci tu devances le tournesol. Tu souris. Je ne sais pas pourquoi tu as choisi le tournesol. Mais je t’associe désormais à cette plante. Je ramasse les photos et je les glisse dans ta main. Tu ne réagis toujours pas. Même les photos semblent plus vivantes. Tu n’as même pas l’aspect d’une statue. Je commence à comprendre. C’est bien tout ce qu’il me reste. Je n’aurai jamais rien d’autre. Le vent se lève. Tu te courbes sous sa puissance. Une tempête approche. J’ai du mal à tenir debout. Et tu es en train de t’envoler devant moi. Dois-je te laisser partir ? Je ne le veux pas. Je te retiens par la main. Mais tu veux partir cette fois-ci. Tu es plus forte que moi. J’essaie pourtant de te retenir de toutes mes forces. Rien n’y fait. Tu vas m’échapper. Dans un dernier effort, alors que je sens que tu vas t’en aller pour de bon, j’arrache les photos que j’avais posées dans la paume de ta main. Tu es partie, définitivement. Je reste planté au milieu de la plaine. Je ne sais même pas où je suis. Comment pourrais-je savoir où tu es allée. Je glisse les photos dans ma poche. Je me retourne, et même les tournesols ont disparu.