« Déclame ton désarroi ! Vas-y de bon cœur ! »
Hugo, tout haut perché qu’il est, hésite. Vraisemblablement le goût des cimes ne lui réussit pas. C’est fâcheux car aussi loin que sa mémoire le porte, il n’a jamais été sujet aux vertiges, si ce n’est certains malheureux vertiges amoureux, relégués au rang de vestiges depuis fort longtemps…Peut-être tout cela est-il lié, imbriqué ? Pas plus tard qu’hier ils étaient en effet très liés, très imbriqués, de lubriques aventures pour un septième ciel avant l’heure. Il devrait être à son aise tout là haut.
Et pourtant, ce refrain, toujours, venu de plus bas:
« Déclame ton désarroi ! N’hésite pas ! Ne mets pas de sourdine sur tes sentiments ni sur tes actions. Ce n’est plus le moment. »
Hugo la regarde. Et la regarde à elle. Elle a raison, il a désormais été trop loin. Cette pale figuration ne restera pas sans éclat, qu’il en soit ainsi, qu’il en aille de son honneur. Hugo cligne des yeux. Cela lui fait tout de même peine, d’imaginer ces choses là, avec ce style ampoulé. Tout ça c’est de leurs fautes à elles. A elle et à elle. Trop de grandiloquence, trop d’effets, aucune mesure dans les sentiments, aucun garde-fou pour freiner leurs ardeurs. Où cela pourrait-il s’arrêter désormais ? Elle n’a pas de limites, et quant à elle, rien n’est moins sûr. Le visage perlant, branlant, perclus de crampes, Hugo entend toujours « déclame ton désarroi, déclame, déclame, n’hésite pas ». Déclame à ta reine pense Hugo – déclamer à ta reine ton désarroi, c’est en effet fort commode Hugo. Des arrhes Roi ! Ou plutôt, des arrhes ma reine. Je vous ai rendu bien des services, des plus glorieux aux plus avilissants, à seule fin de vous plaire, et d’y trouver par chance mon plaisir. Des arrhes, ma reine, pour services rendus !
Un brouillard épais s’est déposé tout près d’eux. Le malaise est palpable pour Hugo. Il ne supporte pas de les perdre de vue. Jamais, quoi qu’il advienne, il ne peut se permettre pareille faiblesse ! Il faut se rendre à l’évidence. Son esprit s’embrume certes, mais les alentours s’alourdissent d’une atmosphère pesante. Ses yeux ne peuvent percer la mélasse environnante. Détestable ! D’autant plus qu’il sent leurs regards perçants. Et cette voix, venue de plus bas, qui toujours cherche à le motiver, à l’encourager. Cette pièce de théâtre n’a-t-elle pas assez durée ? Le rideau du temps est tombé, qui laisse les gouttes d’eau et les pensées en suspension et qui la laisse d’ailleurs tendue par un fil, au-dessus du vide, alors que plus personne ne peut voir ce spectacle. Et elle qui ne plonge certainement pas son regard vers l’abîme, mais vers Hugo. Elle ne le voit pas, mais elle sait qu’il est là – nous savons tous où tuer Hugo.