Délirium

Une voix résonne dans ma tête. L’écho de ma pensée se débat et erre dans le néant de mon esprit. Je ne sais plus qui je suis…Le sang, le sable, l’eau, mes cheveux se mélangent dans ma bouche. Je ne vois plus rien, le soleil n’est plus et la lune rouge m’aveugle. La peau qui tiraille, la tête qui tourne, cette main qui m’a touchée me brûle la peau, me brûle le ventre. Je ne connais même plus son possesseur. Et elle restera avec moi, marquée au fer rouge ! Je n’ai rien, si ce n’est cette détresse de savoir que j’ai tout perdu. Ce souvenir, c’est consciemment qu’elles me l’ont laissé. Aurai-je le courage de me relever. Je m’enfonce de plus en plus dans ce sable détrempé. L’océan fait des siennes. Les vaguelettes laissent désormais place à une écume bouillonnante et écœurante. Je connais le goût de cet océan. C’est l’amer goût de ma défaite. L’endroit où j’ai cru vaincre. Je suis à bout de forces. Et je commence à suffoquer ! Mes poumons se remplissent peu à peu. Mon pouls s’accélère. J’ai tellement peur. Cela ne durera pourtant que quelques secondes. Au bout m’attendent la paix, le calme, la sérénité. Je suis à l’endroit où j’ai toujours rêvé d’être. Celui que je n’ai cessé de réclamer à cors et à cris. Je n’ai pas choisi la voix que l’on m’a tracée. Des larmes ruissellent sur mon visage, les dernières. Je peux les distinguer parmi ces milliards de molécules qui naviguent désormais sur mon visage. Elles s’écoulent doucement, délicatement. Comme si elles savaient. Elles profitent de ce dernier moment. Elles caressent mon visage et de mon œil, elles choisissent chacune leur chemin. Ma peau s’est écaillée, mais elles ne m’en tiennent pas rigueur. Au contraire, elles l’adoucissent. Un seul être au monde avait le pouvoir de m’adoucir de la sorte. Mais qui est-il ? Qu’est-il devenu ? Mon cerveau est vide de réponses, rempli de questions, d’impressions. Pourquoi m’avoir laissé dans une telle ignorance ? Puis-je partir en ayant tout oublié ? Là-bas, seule, perdue, incapable de recouvrer mes sens, je serai libre, libre de devenir une furie. Je déverserai ma haine dans l’espace infini où l’on m’aura abandonnée. Condamnée à l’ignorance éternelle. Destinée à désespérer. Désespérée par cette destinée.

En fin de compte, au bout ne m’attendent ni la paix, ni le calme, ni la sérénité. Je dois à tout prix me relever. Mes bras s’enfoncent davantage dans le sable. Les battements de mon cœur commencent à ralentir. Je me sens mieux. Je réussi à glisser ma main sous ma poitrine. Je ne sens rien. Je n’entends rien. Serais-je nue ? Je ne tolérerai pas que l’on me retrouve dans cet état. Sous mon sein gauche, je sens une cicatrice. Elle n’a pas de liens avec ce que je suis en train de vivre. J’enrage de ne pouvoir débloquer les verrous de ma mémoire. Je voudrais par n’importe quel moyen briser ces chaînes. Elles ne sont pas tant les portes de mon passé que de mon avenir que j’hypothèque un peu plus à chaque pensée. Dans quelques secondes je serai morte. Est-ce que je suis déjà folle ? Comment distinguer le délire à l’approche de l’instant zéro du délire dans lequel je suis plongé depuis ce moment où je me suis retrouvée privée de tout ce qui me liait à l’univers ?

…La lune rouge a disparu. Elle ne m’aveugle plus. Un parterre magnifique d’étoiles se dévoile à moi. Je me suis libérée de l’étreinte du sable et de l’océan. Ce dernier s’est arrêté de rugir pour laisser place à une mélodie apaisante. Je n’ai toujours pas la force de me relever. Tout juste puis-je basculer la tête pour constater ma nudité. Je retourne contempler ce ciel rempli de mystères que nul homme ne percera sans doute jamais même s’il avait l’éternité pour le faire. Ma respiration se fait plus régulière. Ces constellations me semblent familières. Je ferme les yeux. Entreverrais-je ainsi ce que mes yeux ne peuvent distinguer ? Mon ouïe est décuplée. Chaque note, chaque son, chaque mélodie peuvent être mis à nu. Telle une mosaïque, je me fais une idée plus précise de l’environnement qui m’entoure. Devant, l’océan. Derrière, au loin, les falaises abruptes. Une respiration, la mienne. Une respiration, plus brute, plus irrégulière, celle d’un étranger. Il se dirige vers moi à allure modérée. Quelles sont ses intentions ? Je ne peux les deviner. Pas plus que ce qu’il adviendra de moi dans quelques foulées. Au fond, qu’importe. J’ouvre les yeux. Un nouveau monde apparaît soudain. Je tourne la tête. Une silhouette se dessine. Elle s’arrête soudain. Que pense-t-elle à cet instant ? Est-elle troublée par mon état déplorable, par ma nudité peut-être ? Ou bien ne serait-elle pas l’instigatrice de ma situation présente. Elle semble hésiter…Je jurerais qu’un conflit intérieur l’habite, dont je ne devine pas les raisons. Simple ou complexe, elle le résout promptement. Elle s’approche à nouveau. Que veut-elle ? Que va-t-il m’arriver ? Advienne que pourra…