SpeedWriting #18 – Le viol des lucioles

Après des mois de silence, un nouveau Speedwriting, qui bien que dans un genre totalement différent de celui-ci, met encore à l’honneur un tapis rouge !

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Toute nue. Intégralement, sans fard, sans artifices, sans masque, voilà l’état dans lequel je me retrouve. Si affreuse que me paraisse cette situation, et Dieu sait que je ne l’ai jamais souhaitée, je me dois d’y faire face avec toute la dignité qui m’habite encore en cet instant. Toutes les années passées sous la coupe des plus grands maîtres Zen n’y pourraient pourtant rien, pas plus que ces heures à prendre la posture, ces centaines d’heures qui, toute rodée que je suis, m’ont plus que tout inspiré un profond dégoût de la pose. Et finalement, seul ce brin de dignité, que je ressens caché quelque part en moi, couvert malgré tout par cette enveloppe charnelle, m’aide à tenir. Je ne peux me retourner, et pourtant, je sais qu’à quelques dizaines de mètres derrière mon dos, le rugissement du moteur se fait entendre, les portes sont ouvertes, les vitres sur-teintées. Ne pourrais-je pas, au prix d’un retournement de situation inattendu, m’y glisser de nouveau, et me retrouver au calme, à l’abri des regards inquisiteurs, seule dans ce cocon de tôle. Mais est-ce bien ma voiture qui rugit de la sorte finalement ? Ne devrais-je pas plutôt m’attendre au calme et étrange ronronnement d’un de ces moteurs électriques dont mon agent m’a vanté les vertus, moi l’éternelle technophobe ? Je jurerais que c’est l’un d’entre eux qui m’a amenée ici. Ils sont tellement nombreux aux alentours ! Et rien que d’y penser fait ressurgir à la surface cette idée que je suis baignée d’une atmosphère malsaine, pleine de strasses et de crasse.

Tandis que je me perds en conjectures sur le devenir de mon carrosse et que je ne peux me résoudre à faire volte-face, un crépitement soudain m’aveugle. Une vague d’une violence inouïe. Sous la lumière crue des projecteurs, voilà que je me retrouve livrée à moi-même, prise dans un tourbillon soudain, seule face à une armée de lucioles dont je ne saisis pas les mouvements stratégiques. Elles se déplacent en troupeaux, vivent leur vie en l’espace d’une fraction de seconde et meurent avant même d’avoir pris conscience de la vacuité de leur existence au service d’une bataille dirigée contre un être plus imposant, plus prégnant. Un être tellement plus stagnant aussi. Seules, elles ne peuvent rien contre moi, mais à plusieurs, à force de coups de boutoirs répétés, l’une prenant la place de l’autre stoïquement tombée au combat, au tapis rouge, elles pourraient bien m’atteindre et m’anéantir. Et pour ne pas arranger ma situation, je fais manifestement du sur-place. Je ne sais depuis combien de temps dure mon ahurissement, peut-être tout ce fracas de vie et de mort ne se déroule que depuis quelques secondes, mais visiblement ce sont quelques secondes de trop, et je suis une cible facile. Leurs lumières m’aveuglent à l’envi et me dévoilent l’étendue de leur perfidie. Fière comme je sais l’être dans l’adversité, je me refuse à plier, et pourtant, c’est à force de résistance que je risque bien de me briser en un instant. Mes mains portées au niveau de mes hanches, je prends la pose malgré moi, et je m’expose à rompre, violer par des lucioles avides de mes charmes qu’elles ne consommeront finalement jamais, si ce n’est dans leur multitude. Déployer mes mains, tendre mes bras, saisir une luciole parmi ces milliers de points lumineux, la vaine et cruelle contre-attaque serait annihilée, invalidée par les partisans de la norme, qui après avoir reconnu le crime de guerre, me chargeraient du crime le plus odieux qui soit, celui d’avoir craché dans la soupe.

SpeedWriting #17 – Perché

« Déclame ton désarroi ! Vas-y de bon cœur ! »

Hugo, tout haut perché qu’il est, hésite. Vraisemblablement le goût des cimes ne lui réussit pas. C’est fâcheux car aussi loin que sa mémoire le porte, il n’a jamais été sujet aux vertiges, si ce n’est certains malheureux vertiges amoureux, relégués au rang de vestiges depuis fort longtemps…Peut-être tout cela est-il lié, imbriqué ? Pas plus tard qu’hier ils étaient en effet très liés, très imbriqués, de lubriques aventures pour un septième ciel avant l’heure. Il devrait être à son aise tout là haut.

Et pourtant, ce refrain, toujours, venu de plus bas:
« Déclame ton désarroi ! N’hésite pas ! Ne mets pas de sourdine sur tes sentiments ni sur tes actions. Ce n’est plus le moment. »

Hugo la regarde. Et la regarde à elle. Elle a raison, il a désormais été trop loin. Cette pale figuration ne restera pas sans éclat, qu’il en soit ainsi, qu’il en aille de son honneur. Hugo cligne des yeux. Cela lui fait tout de même peine, d’imaginer ces choses là, avec ce style ampoulé. Tout ça c’est de leurs fautes à elles. A elle et à elle. Trop de grandiloquence, trop d’effets, aucune mesure dans les sentiments, aucun garde-fou pour freiner leurs ardeurs. Où cela pourrait-il s’arrêter désormais ? Elle n’a pas de limites, et quant à elle, rien n’est moins sûr. Le visage perlant, branlant, perclus de crampes, Hugo entend toujours « déclame ton désarroi, déclame, déclame, n’hésite pas ». Déclame à ta reine pense Hugo – déclamer à ta reine ton désarroi, c’est en effet fort commode Hugo. Des arrhes Roi ! Ou plutôt, des arrhes ma reine. Je vous ai rendu bien des services, des plus glorieux aux plus avilissants, à seule fin de vous plaire, et d’y trouver par chance mon plaisir. Des arrhes, ma reine, pour services rendus !

Un brouillard épais s’est déposé tout près d’eux. Le malaise est palpable pour Hugo. Il ne supporte pas de les perdre de vue. Jamais, quoi qu’il advienne, il ne peut se permettre pareille faiblesse ! Il faut se rendre à l’évidence. Son esprit s’embrume certes, mais les alentours s’alourdissent d’une atmosphère pesante. Ses yeux ne peuvent percer la mélasse environnante. Détestable ! D’autant plus qu’il sent leurs regards perçants. Et cette voix, venue de plus bas, qui toujours cherche à le motiver, à l’encourager.  Cette pièce de théâtre n’a-t-elle pas assez durée ? Le rideau du temps est tombé, qui laisse les gouttes d’eau et les pensées en suspension et qui la laisse d’ailleurs tendue par un fil, au-dessus du vide, alors que plus personne ne peut voir ce spectacle. Et elle qui ne plonge certainement pas son regard vers l’abîme, mais vers Hugo. Elle ne le voit pas, mais elle sait qu’il est là – nous savons tous où tuer Hugo.

SpeedWriting #16 – A love letter

Cela fait une éternité que je n’ai pas publié de « speedwriting ». J’avoue que ces derniers temps, je travaille plutôt des poèmes (que je ne met même pas en ligne d’ailleurs ahem…), mais surtout, dès que j’ai vraiment un peu de temps et d’énergie, je travaille sur mon premier petit roman. Roman est un bien grand mot, et je doute d’arriver à le finir un jour au rythme auquel il avance ! Pour me changer un peu les idées, j’ai décidé il y a quelque jours de reprendre un ersatz de « lettre d’amour désespérée » écrite en partie, mais jamais finie, et bien sûr jamais envoyée. J’ai repris le corps de cette lettre, et je l’ai retravaillé à fond, en me mettant de nouveau dans la peau d’un amoureux ébranlé et désespéré (celui que j’étais il y a 3 ou 4 ans peut-être ? 😉 ). Je dois dire que c’était assez marrant (ça l’était moins à l’époque…). Cela permet de prendre beaucoup de recul sur la signification d’une relation amoureuse et de l’aveuglement qu’on peut subir. Honnêtement, en relisant cette lettre dans sa mouture final, j’ai envie de mettre des baffes à mon moi amoureux désespéré, mais je n’y ai pas été avec le dos de la cuillère il faut dire ! Et comme vous allez pouvoir le constater, cette lettre est longue, trop longue ! Il est temps que je fasse le ménage dans mes écrits et dans cette catégorie speedwriting que je garde par convenance mais qui n’a plus de speed que le nom.

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P.,

tu trouveras ci-joint une lettre, certes un peu longue, mais je te prie de la lire jusqu’au bout. Comme je te l’ai rappelé dans mon précédent message, pas mal de choses ont changé définitivement en ce qui me concerne. Pour faire clair avant que tu ne te plonges plus avant dans cette lettre : oui je t’aime toujours, non cette lettre n’est absolument pas là pour regagner ton amour, cette lettre est simplement là pour te faire comprendre qui je suis vraiment car tes remarques m’ont vraiment fait très mal et ça m’est insupportable que tu m’imagines tel que je ne suis pas. Que tu comprennes la personne que je suis est vraiment important pour moi car il n’y a que comme ça que tu pourras gagner mon amitié. Tu m’as dit vouloir être amie avec moi, alors je suis prêt à faire l’effort de passer de l’amour à l’amitié, mais seulement si j’ai l’assurance de la sincérité de ton investissement, car je t’avoue que ma confiance en toi et en ce que tu peux dire est plus qu’ébranlée désormais.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je vais clarifier les choses, cette lettre n’a rien de standard, tu n’en as jamais reçu des comme ça et tu n’en recevras sûrement plus jamais. Mais une chose est sûre, je n’ai jamais été aussi sûr de moi qu’avant de t’écrire cette lettre. Tout ce que je vais te signifier ne va peut-être pas te faire plaisir, mais pour éviter toute ambiguïté, je veux te rassurer et que tu me crois, je n’ai aucune colère en moi, je n’ai aucun ressentiments envers toi et je ne cherche sûrement pas à te faire culpabiliser à propos de quoi que ce soit. Mais tout ce qui s’est passé ces derniers mois, et tout ce que j’ai dû affronter a finalement était un grand mal pour un grand bien, qui m’a enfin permis de me trouver, mais je vais y revenir. Cette lettre est en tout cas l’occasion de t’exposer tous les changements qui se sont opérés en moi.

Je veux tout d’abord que tu saches que je ne t’oublie pas. Il n’y a sincèrement pas un jour où je n’ai pas pensé à toi, alors je n’allais certainement pas oublier ton anniversaire. Je sais que la barre fatidique des 21 ans a été passée le 31 mai mais je n’avais vraiment pas le cœur à te le souhaiter à ce moment là…J’imagine que tu les as fêtés comme il se doit. Cela fait quatre mois que je ne t’ai pas vue, trois mois que mes yeux ne se sont pas posés sur une photo de toi, mais pour cette occasion, je ne doute pas que tu es plus resplendissante que jamais ! Un joli brin de femme ! Je profite de cet événement tant qu’il est encore temps pour te souhaiter le meilleur pour tout ce qui t’attend !

J’en profite aussi pour te dire que j’ai bien réfléchi durant ces quatre mois, et je suis sûr d’une chose désormais, mon grain de folie, c’était toi, notre grain de folie, c’était notre relation tout simplement, car ça semblait fou d’entamer une telle relation, et pourtant on l’a fait, et c’est ce qui faisait qu’on était différent. La facilité aurait consisté à ne jamais se voir à partir du moment où l’on savait d’où chacun venait. Je ne te jette pas la pierre pour avoir pris peur, t’être dit que tout allait trop vite, que tout était trop compliqué à gérer, que tu avais peut-être la crainte de te marginaliser par rapport aux étudiants et amis qui t’entourent, mais je tiens à te faire savoir que je n’accepterai jamais les critiques que tu m’as faites, cruelles et humiliantes, et qui m’ont très profondément affecté.

Je sais qui je suis et ce dont je suis capable maintenant. Je suis clairement quelqu’un de très sensible, mais je pense être bien plus courageux et entreprenant dans tous les domaines que beaucoup de « têtes brûlées » vers lesquelles tu sembles attirée et auxquelles tu m’as en tout cas comparé. J’en suis fier, et je suis juste triste que tu ne l’aies pas vu et que tu t’en sois pris à moi via quelques paroles certes, mais suffisamment violentes pour me marquer durablement. Avoir l’idée de nous offrir un baptême en chute libre et de te ramener ta fameuse 4L, c’est ce que j’appelle avoir un grain de folie, sauter à poil dans le canal du midi en plein hiver, c’est ce que j’appelle avoir un grain de folie, entamer une descente chaussé de skis sur une piste couverte de bosses avec 10 minutes de ski dans les jambes de toute sa vie en tout et pour tout et se péter le genou par amour, c’est ce que j’appelle avoir un grain de folie. Le gars qui n’a aucun grain de folie a par ailleurs un qualificatif parmi ses vrais amis depuis de nombreuses années, à savoir le gars qui raconte un milliard de conneries à la minute, le gars qui n’a aucun grain de folie est capable de faire gober une histoire de voyages à poche de kangourou à travers le désert australien à la moitié de sa tablée pendant une bouffe, le gars qui n’a aucun grain de folie était considéré comme l’élève le plus dissipé de ses premières années de fac avec F. , qui comme tu as pu le voir à Paris est une fille vraiment super emmerdante, qui se prend très au sérieux et qui ne rigole pas du tout, c’est d’ailleurs sûrement pour cela que l’on faisait la paire à l’époque…

Tu veux savoir pourquoi je passais mon temps à te faire des remarques du style : « tu conduis un peu vite P. , fais attention, ne téléphone pas au volant P. « . J’avais une  connaissance à l’université qui s’est tuée en voiture. Tu comprendras que je n’avais pas forcément envie de t’en parler. Alors, oui, c’est le genre d’événements qui marque, d’autant plus que je retrouvais chez toi un peu de son comportement. Et personnellement, je n’avais aucune envie qu’il t’arrive quoi que ce soit. Le problème, et j’en suis persuadé sur cet exemple précis, c’est que tu me résumes à quelqu’un sans folie et sans caractère par ce genre de remarques que j’ai pu te faire, et que tu crois par exemple que je ne suis pas capable d’appuyer sur le champignon, que ce soit en voiture ou dans tout autre domaine. Appuyer sur une pédale d’accélérateur c’est facile P. , piloter c’est autre chose, et c’est par exemple ce que j’ai testé un temps, et je peux te dire que l’adrénaline que ça procure m’a bien plu, et que d’une certaine manière, ça me fait bien rigoler quand quelqu’un se croit tout fou parce qu’il accélère à 130 km/h sur une route limitée à 70 ou 50. Contrairement à ce que tu t’imagines, je déteste la routine, que ce soit au boulot ou dans ma vie privée, je suis tout le contraire du gars qui reste affalé dans son canapé à zapper de chaînes en chaînes tous les week-ends ou à jouer aux jeux vidéos sur son PC. J’aime tester des nouvelles choses, j’aime ces sensations, j’ai toujours eu envie d’aventures, sentir l’adrénaline monter en moi (si on se mettait au premier rang dans les montagnes russes d’un certain parc l’an dernier, ça n’était pas pour rien). Et c’est d’ailleurs bien pour ça que j’étais excité à l’idée de te ramener ta voiture et de te forcer à sauter dans le vide, histoire que l’on casse un peu cette petite routine dans laquelle on était, même si le mot routine me paraît ici très exagéré ! Et dans un registre plus privé qui nous concerne tous les deux, même quand on faisait l’amour, je n’avais qu’une envie, c’était à chaque fois d’aller plus loin, de tester davantage, en termes de plaisirs, de positions, de sensations, d’endurance, parce qu’à chaque fois que je faisais l’amour avec toi, c’était le pied total, par le plaisir que tu me procurais, par le plaisir que je te procurais, par ce moment unique et intense qu’on partageait tout simplement. Je voulais aller plus loin non pas par esprit de compétition car les autres, je n’en ai vraiment rien à foutre, je voulais aller plus loin car c’était avec toi un plaisir absolu et unique à 100% et parce que je savais que tu étais aussi dans cet état d’esprit et que tu étais comme moi sans tabous à ce niveau-là ! Pour quelqu’un qui n’a pas de grains de folies, c’est pourtant bien moi il me semble qui ai eu l’idée là aussi de tester des choses un peu plus originales, même si on n’a pas eu beaucoup de temps pour s’y consacrer…Même si je ne te l’ai pas dit, j’étais frustré tu sais que la plupart du temps où l’on se voyait, on ne pouvait pas totalement se lâcher car nous n’étions pas seuls. C’est d’ailleurs pour ça que mes moments préférés sont sans doute à ce niveau là ceux passées sur Lille en octobre, car c’est le seul moment où on pouvait totalement lâcher la bride tous les deux !! Et c’est aussi pour ça que j’avais hâte que l’on parte ensemble en vacances, que l’on puisse enfin s’éclater à deux dans tous les domaines. Des vrais vacances oui, car tu ne t’en ai peut-être pas rendu compte, mais indépendamment de ce qui s’est passé depuis février, j’ai depuis des mois une charge de travail énorme au boulot, je suis anémié comme jamais et en dépit d’une fatigue qui était déjà énorme, j’essayais pourtant de faire le maximum en dehors du boulot pour toi, pour moi, car je t’aimais tout simplement. Quand je venais te voir à Lille, c’était aussi un grand moment de repos pour moi, d’être dans tes bras tout simplement, d’être avec toi et tu n’imagines pas le bien que ça me faisait. Non, je n’allais pas passer mon temps à me plaindre non plus de ma fatigue, mais de toute façon, je ne crois même pas que tu l’aies vraiment vu.

Donc, non je n’accepte pas ces critiques, que tu m’as présentées, même si ça n’était pas ton intention et que ça n’a duré qu’un instant, avec un ton de mépris dans ta voix et dans ton regard que je n’avais jamais entendu et vu jusque-là. Et venant de quelqu’un d’un naturel si doux que toi, ça fait un choc, je peux te l’assurer. Mon problème, c’est que j’avais toujours manqué de confiance en moi. Je pouvais faire un truc dingue, je me disais un jour après que tout le monde pouvait le faire, et deux jours après j’avais oublié que je l’avais fait. La fille que j’aime le plus au monde me balance soudainement des critiques et se permet de me juger du jour au lendemain et je me dis qu’elle doit avoir raison (en gros ça disait pour résumer tout ce que tu m’as dit quand je suis arrivé à Lille : j’ai passé 6 mois au chevet d’une malade, et maintenant que tu vas bien, tu n’as plus besoin de moi…tu t’es clairement exprimée de manière maladroite, mais dans le genre je prends, j’utilise, je jette, tu ne pouvais pas faire pire, et quand je te dis que je me sentais totalement humilié et moins que rien, c’est la vérité, car vu la froideur avec laquelle tu m’avais dit ces choses, je me disais que je pouvais exister ou ne pas exister, tu n’en avais strictement rien à faire). Je ne sais pas si tu as vraiment réfléchi à l’impact que ça pouvait avoir à ce moment-là sur moi, mais comprends combien c’est cruel de s’entendre dire « tu es très bien quand je vais mal, mais quand j’irai bien, j’aurai besoin d’autre chose ». Ce genre de phrase ne revient pas à dire, tu ne me conviens pas, ça revient à dire, tu ne me mérites pas (ou pour reprendre à mon compte une de tes tournures du mail où tu m’en mettais plein la gueule : je n’étais pas assez bien pour madame). Voilà ce que j’ai ressenti en cet instant. Voilà pourtant ce que tu m’as dit quasiment mot pour mot, pleine de dédain, voilà ce qui m’a tant affecté et qui m’a fait penser que tu t’étais juste servie de moi pour t’amuser. Et quand on se prend ce genre de phrases en pleine figure, on se dit qu’on est nul, ringard, à côté de la plaque, qu’on est bon qu’à servir aux gens et qu’au final je n’ai jamais été rien de plus qu’une roue de secours temporaire pour toi.

A ce stade de ta lecture, je tiens à te préciser de nouveau que je n’ai ni colère ni rancune envers toi, mais comme tu vas le voir à la suite de ta lecture, certaines choses ont changé en moi. J’ai cru un moment que j’avais eu le tort de ne pas te parler de toutes ces choses et de bien d’autres encore, mais je ne regrette rien. Car je pense qu’à partir du moment où on aime quelqu’un, on ne juge pas, on ne compare pas. Aimer quelqu’un, c’est clairement une folie aussi, écrire une lettre en sachant pertinemment qu’elle risque d’être mal interprétée, c’est une folie aussi. Mais jusqu’à preuve du contraire, on n’a qu’une vie P. . Au vu de tout ce que tu as pu me dire, j’ai l’impression que tu m’as perçu comme quelqu’un de transparent et sans caractère et même si je sais pertinemment que ce n’était absolument pas ton intention, les remarques que tu m’as faites étaient pleines de mépris pour ma personne. Et je me dis que si toi, qui es clairement une des filles les plus naturellement gentilles et douces que j’ai pu rencontrer, manifeste, même inconsciemment, ce genre de sentiments à mon égard, c’est que le problème vient aussi de moi. J’ai trop longtemps été trop gentil avec tout le monde, trop longtemps j’ai été sur la réserve, trop longtemps j’ai voulu que tout soit parfait, trop longtemps j’ai aidé les autres sans rien demander en retour, alors désormais j’ouvre ma gueule, maintenant j’écris et je continue ma lettre car je suis tout le contraire de ce que tu penses P. . Quand je te l’ai dit à Lille, je n’en étais pas totalement persuadé, maintenant j’en suis absolument certain.

Oui, comme je te l’ai dit dans mon texto début mai, je t’aime toujours P. , je n’ai plus peur de te le dire, je ne suis pas désolé de t’aimer car c’est beau d’aimer, je ne suis pas désolé de te dire ça dans cette lettre après trois mois de break qui m’ont paru une éternité, trois mois durant lesquels tellement de choses se sont passées et où j’aurais tellement eu besoin de toi pour me soutenir dans certains moments plus que très difficiles et qui m’ont demandé beaucoup de courage, ou pour partager durant certains événements joyeux. J’ai été pris dans un tourbillon depuis la mi-février, une détresse psychologique que je n’avais jamais connue et dont je croyais ne jamais pouvoir sortir. Ton comportement à mon égard, le fait d’être blessé par la fille que j’aime a eu pourtant un mérite, celui de provoquer l’électrochoc dont j’avais grandement besoin depuis bien longtemps. Et voilà, je t’aime, c’est la réalité de mes sentiments pour toi. Ce n’est pas l’obsession du premier amour ou le fait de ne pas vouloir tourner la page qui me fait dire ça, c’est juste que je suis en paix avec moi-même maintenant, c’est bien la seule mais non moins grande différence avec le Guillaume que tu as connu, et je sais que je t’aime et que contrairement à ce que tu penses, je ne suis pas celui que tu t’imagines, et je sais que j’ai énormément de choses à t’apporter.

J’ai bien conscience que cette lettre n’a rien de très réjouissante. Mais je considère que ce qui s’est passé ces derniers mois est loin d’être anodin et n’est certainement pas un jeu, et que mes sentiments pour toi sont bien trop importants pour rester dans le « politiquement correct ». Rassure toi, je te le répète, je n’ai pas de colère en moi, je n’en déverse pas en écrivant ces mots ou en pensant à toi. Je me sens plutôt bien même. Je ressens juste quelque chose d’unique en pensant à toi. Je voulais juste que tu le saches. Le fait d’avoir pris conscience de qui j’étais fait évidemment que cette lettre a sans doute un ton beaucoup plus résolu que tout ce que j’ai pu t’écrire jusqu’à présent. L’image est un peu caricaturale, mais disons que quand je t’ai connue, j’étais encore un gamin à beaucoup de niveaux (d’où toutes ces peurs et ce manque de confiance en moi), et depuis quelques temps, je ne ressens plus de peur. Il y a clairement eu un avant et un après. Je me sens sûr de moi et sûr de ce que je ressens pour toi, je me sens moi tout simplement, pour la première fois depuis bien longtemps et ça change tout, à tous les niveaux, pour moi et pour les personnes qui me sont proches. J’ai passé les quatre derniers mois à être actif quasiment 24h sur 24 à cause du boulot, du travail sur moi-même, à chercher qui j’étais réellement, à comprendre ce dont j’étais réellement capable, des loisirs aussi, de ce que je pensais réellement de toi et de notre relation. Autant te le dire franchement, tu es passée par tous les stades dans ma tête, de la fille la plus merveilleuse qui soit à la fille la plus superficielle et cruelle que j’ai pu connaître. Je crois qu’en me recentrant sur moi-même, je n’ai jamais aussi bien observé l’extérieur. Et notamment les filles. Là où tu disais que j’avais des œillères, je te répondrai que j’avais surtout de la clairvoyance. La clairvoyance de mesurer toutes les qualités de la personne à qui j’avais donné mon amour.

Je vais te le dire clairement, ça me fait chier, ça me fait chier de perdre ton amour pour des conneries, ça me fait chier de t’entendre parler d’amitié du jour au lendemain comme si rien ne s’était jamais passé, ça me fait encore plus chier de te laisser un jour partir dans les bras d’un autre pour de biens mauvaises raisons, ça me fait immensément chier de te laisser partir dans les bras d’un gars qui ne te méritera pas et ça me fait  chier que tu aies rompue avec moi non pas pour des incompatibilités d’humeur, non pas pour des mésententes, non pas pour des disputes ou quoi que ce soit de ce genre, mais parce que tu t’es dit d’un coup, Guillaume en fait il est bien gentil mais il est comme ça.

Contrairement à ce que tu pourrais penser, le but de cette réflexion n’est pas de te prouver à tout prix par A+B que tu as eu tort sur moi, mais tu m’as titillé sur un point particulièrement sensible chez moi, tu as fait la chose que pour ma part je déteste le plus chez une personne, tu m’as jugé, sur des bases complètement caduques, tu m’as dit, Guillaume, en fait, tu es ceci, tu es cela et tu m’as méprisé. Plus jamais je ne laisserai quelqu’un me juger P. , plus jamais je ne laisserai quelqu’un me faire du mal comme tu m’en as fait. Non, P. , je ne suis pas celui que tu penses. Non, je ne t’en veux pas car je pense que le mal que tu m’as fait été involontaire, mais ne pas t’en vouloir ne veut pas dire que j’oublie le mal que tu m’as fait qui est bien réel et qu’il va cicatriser comme par magie. Et le mal que tu m’as fait ne m’empêche pas de t’aimer. Aimer, c’est pardonner aussi. Aimer, c’est voir plus loin que le bout de son nez, c’est accepter les erreurs de l’autre, ses défauts et ses qualités. Aimer, ce n’est pas facile, je le conçois. Mais dans ce cas-là, si on n’est pas prêt à aimer quelqu’un, si on n’est pas prêt à faire certains sacrifices, on ne dit pas pendant 6 mois jour après jour à quelqu’un qu’on l’aime car il n’y a rien de plus cruel (et là ce n’est pas un reproche que je te fais, c’est un conseil que je te donne pour l’avenir, peut-être que tu trouves ça bizarre, mais pour moi, dans le monde égoïste et pourri dans lequel on vit, les sentiments sont trop importants pour être pris à la légère). Et quand on aime quelqu’un, aussi bizarre que ça puisse paraître, et bien, on persévère, on s’accroche quand on voit au-delà de l’idéalisation de la personne qu’on s’était faite. Je t’avais sans doute idéalisée, et je t’ai aimé pour ça. Je ne t’idéalise plus du tout P., et tu vois, malgré ma confiance en toi qui s’est plus qu’effilochée, ça ne m’empêche pas de t’aimer. Comme je te le disais P., on n’a qu’une vie. Le hasard m’a mis sur ta route, le hasard a voulu que ce soit la personne que je suspectais le moins de me faire du mal qui m’en fasse le plus, le hasard a voulu que par la même occasion, je remette enfin tout à plat et que j’ai ce déclic que j’attendais depuis longtemps. Contrairement à ce que tu as pu penser, j’ai toujours parlé de toi avec fierté à tout le monde, qu’il s’agisse de ma famille ou de mes amis, je n’ai jamais eu honte de toi, je ne t’ai jamais prise de haut, je ne t’ai jamais méprisée ou jugée. Et ça ne changera jamais. Une chose a changé cependant, je t’avais toujours ménagée jusque-là, même durant notre dernière semaine ensemble à Lille où je me suis comporté de manière bien naïve et où je te cherchais toutes les excuses possibles pour le comportement que tu avais eu et les phrases malheureuses que tu avais prononcées. Non, je ne te ménagerai plus jamais P., je ne ménagerai plus jamais personne si j’estime que je n’ai pas à ménager les gens, car ce n’est pas rendre service aux gens et ce n’est pas se rendre service que d’être trop gentil. J’ai bien conscience de ne pas te ménager dans cette lettre qui est sûrement la pire des lettres que tu as pu recevoir. Pourtant, comme je te l’ai déjà dit, je n’ai pas de colère ou de ressentiments envers toi. Mais je te dis les choses telles qu’elles sont, je te dis les choses d’une manière plus directe car je ne suis plus vraiment le même sous certains aspects désormais. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je ne te ménage pas car je t’aime, mais je ne suis pas dans ta tête P., toi seule peux faire l’effort de comprendre mon point de vue. La grande différence avec l’ancien Guillaume, c’est que je ne ressens aucune culpabilité à t’envoyer cette lettre. Je ne me dis plus « je vais lui faire du mal, elle va mal le prendre ». Non, je t’ai plusieurs fois dit dans cette lettre que je n’avais pas de colère envers toi, et c’est la vérité. Je ne cherche pas à te faire du mal. Je ne pense pas te critiquer autrement que par le fait de souligner le mal involontaire que tu m’as fait, ce que je ne considère même pas comme une critique, mais comme un fait. Cette lettre, ce sont les mots d’un amoureux, du véritable amour que j’ai pour toi. Avec toi, je peux parler de tout et de rien, avec toi je peux rigoler, pleurer, me confier. J’aime entendre ta voix, j’aime ton rire, ton sourire, ton regard. J’aime ton humour, ton fort caractère, le fait que tu ne te prennes pas au sérieux. J’aime te masser et faire l’amour avec toi. J’aime te prendre par la main et me promener avec toi. Je sais cependant que l’on n’a pas la même sensibilité, la même façon de gérer nos émotions. Si c’était toi qui avait fondu en larmes sur mon épaule, j’aurais pleuré avec toi, que ce soit le nouveau ou l’ancien Guillaume. Mais comme je te le disais, on n’a qu’une vie P., comme je te le disais, être sensible ne veut pas dire ne pas « en avoir dans le pantalon ». On n’a qu’une vie P., et je te dis tout ça car je pense effectivement que tu te trompes sur moi, et que j’y suis indéniablement pour quelque chose.

Au cours de ces dernières années, j’ai eu l’occasion de rencontrer certaines filles, des filles qui avaient de manière « évidente » tout pour me convenir, car elles avaient énormément de points communs avec moi, par exemple en ce qui concerne l’écriture, le cinéma et ce côté sage et sérieux que je dégage au premier abord. Pourtant, jamais je n’ai éprouvé la moindre envie d’aller plus loin avec ce type de filles. Au fond de moi, je pense que j’ai toujours su qui j’étais, mais j’ai toujours eu peur de le montrer. Et j’en arrive au point qui m’a toujours agacé, et que je n’avais jusqu’à présent évoqué qu’avec mes parents ou quelques proches amis. Selon tes goûts, les études que tu as faites, le comportement général que tu peux avoir en société, on te range dans une case, on te colle une étiquette et on te dit, toi tu es comme ça, tu as telle personnalité, tu ne seras capable de faire que telle ou telle chose dans ta vie, point. Ce que je vais te dire est assez paradoxal a priori, mais je comprends cette attitude. Car d’une part la plupart des gens ne font jamais l’effort d’aller voir plus loin, et d’autre part, la plupart des gens ne sont effectivement pas excessivement complexes dans leurs attitudes. Durant toutes mes études, je ne crois pas avoir rencontré une seule personne qui aimait écrire, et bien peu qui aimaient lire. En revanche, j’en ai rencontré des tas qui détestaient lire et tout ce qui à trait à la littérature ou aux arts en général. Et pourquoi ? Parce que dans la tête de la plupart des gens, études scientifiques implique rejet de la littérature. Et si tu dis aux gens que tu aimes lire et écrire, ils t’imaginent de suite ultra casanier, assis bien au chaud chaque week-end dans ton canapé. Ce qui à mon grand désespoir n’est pas du tout mon cas encore une fois. Quand on t’imagine sage et sérieux, on s’étonne quand tu es l’un des rares à oser ouvrir ta gueule en amphi devant les profs quand quelque chose te déplaît et l’on s’étonne encore plus quand on ose traiter un prof de gâteux juste devant le prof en question. Je pense avoir eu la chance d’avoir été élevé par des parents qui ont toujours été curieux de tout, qui n’ont jamais eu d’a priori sur les gens et qui m’ont toujours appris à ne pas juger les personnes sur les apparences. Et surtout, mes parents m’ont toujours appris à être moi-même par-dessus tout, peu importe les clichés, les regards et la pression que les gens et la société en général portent sur toi. Comme tu peux le constater, ça reste beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Et j’en ai beaucoup souffert, notamment durant ma vingtaine naissante. C’est extrêmement difficile de rester soi-même quand on te force à rentrer dans un moule. Pourtant je suis fier de ce que j’ai fait, je suis fier de la personne que je suis désormais, je suis fier de mes choix, de ma famille, de mes amis et de mes amours.

Peu importe au final ce que tu penses en lisant cette lettre, je veux que tu prennes le temps de réfléchir. Car même si je t’ai dit que je t’aimais dans cette lettre, car c’est mon sentiment pour toi, je sais très bien que ce n’est pas ton cas et au final le but de cette lettre n’est pas de regagner ton amour. Le but de cette lettre est de savoir si cela vaut la peine que j’essaie de faire l’effort d’être ton ami. Je m’explique ! Crois-tu que tu m’as totalement mis à nu ? Crois-tu vraiment que je n’ai rien à t’apporter. Ne suis-je plus qu’une contrainte pour toi, qui t’empêche de vivre, de respirer, de faire ce que tu as envie de faire ? Je te dis ça car c’est vraiment l’impression générale qui est ressortie de tous les arguments que tu m’as donné et qui m’a humilié encore plus. Tout d’un coup j’étais trop vieux, tout d’un coup j’étais ringard pour toi, tout d’un coup j’allais te demander en mariage et t’empêcher de mener ta vie d’étudiante…Tout d’un coup j’ai eu l’impression de n’être qu’une tache dont tu avais honte. Tu sais, je ne suis pas une sous-merde à côté de tes amis, et je pense valoir bien plus qu’eux à beaucoup de niveaux. L’amitié, c’est quelque chose que je prends autant au sérieux que l’amour. Quand tu me dis du jour au lendemain que tu n’a plus de sentiments amoureux, c’est ton droit, mais comprends que j’ai des réserves à te donner mon amitié désormais. Oui, je suis toujours amoureux, oui il y a peut-être des milliards de filles sur Terre mais il n’y en qu’une avec qui je me sens en symbiose, et dans les moments heureux et malheureux que j’ai traversés ces derniers temps, il ne me manquait qu’une personne et c’était toi. Mais je suis prêt à croire que P. l’amie m’aurait convenue dans ces moments-là aussi. Donc, oui, je veux que tu réfléchisses. On croit toujours que l’herbe du voisin est toujours plus verte P.. Ce sont des conneries ! Maintenant que je sais absolument qui je suis, je sais que j’aurais pu te rendre heureuse à tous les niveaux ! Qui je suis ? Difficile de répondre en une seule phrase. Mais maintenant que je vois clair sur mon parcours, mes choix et ma personnalité et tout le cheminement qui m’a amené à écrire cette lettre, je sais que je suis sûrement la personne la moins conventionnelle que tu aies pu rencontrer. La personne la plus passionnée aussi. La personne la plus à fleur de peau sans doute. La personne qui ressent les gens quasiment instantanément. Ce que j’ai senti avec toi depuis le début me fait dire que non je ne me trompe pas. Je ne te dis pas que ça va être facile. Pourtant, il s’agit de l’instant où il faut laisser la folie s’emparer de soi justement. Pense ce que tu veux de moi P., que je suis égoïste, que je suis dingue, que je suis immature, que je suis fleur bleue, que je suis une tête de mule, ça m’est égal ! Je veux que tu réfléchisses. Avant toute chose, et ça résumera assez bien cette lettre au long cours, je veux que tu prennes le temps de réfléchir et de comprendre au moins que tu t’es plantée sur moi. Ce n’est la faute de personne, c’est juste une conjonction d’éléments, ta situation actuelle, la situation et le manque de confiance dans lequel j’étais lorsque l’on s’est rencontré, la distance. Toutes ces choses réunies ont fait que tu en es arrivée à porter un jugement totalement erroné sur moi, et quant à moi ça m’a permis de comprendre qui j’étais vraiment. Penses-tu sincèrement que tu t’es trompée sur moi ? Car si un jour notre relation doit se transformer en amitié, cela ne sera possible de mon côté que si tu comprends vraiment la personne que je suis et ce que je vaux car je ne peux en aucun cas être ami avec quelqu’un qui pense que je suis comme tu m’as décrit la dernière fois que l’on s’est vu. Je ne comprends même pas comment tu peux vouloir être ami avec ce fameux gars emmerdant et sans grains de folie que tu m’as généreusement dépeint dans cette voiture. Non, je ne suis pas un faire-valoir, non, je ne suis pas l’ami qui est là juste pour te dire que tu dois avoir confiance en tes capacités ou que tu dois prendre tel ou tel décision, je ne suis pas le gars présent pour t’aider à réparer ton PC, rédiger tes rapports, tes CV et te donner trois conseils en anglais et je ne suis pas non plus le gars sans caractère et sans folie que tu t’aies imaginé. Je n’ai pas envie d’être le gars à qui tu pourras parler quand tu auras un souci et que tu oublieras pour aller t’éclater car dans ce cas-là, tu es juste au plus bas niveau de mon estime. Je pense au contraire que je suis quelqu’un de très bien, d’original, déstabilisant peut-être par ce côté très sérieux que je peux avoir par moment et complètement fou et décalé à d’autres moments. Je ne suis pas le plus beau, je ne suis pas le plus intelligent, je ne suis pas le plus drôle, je ne suis pas le plus musclé ou le plus téméraire, mais au final, je suis fier de moi car je suis une personne riche, qui ne se mets pas de barrières, qui n’essaie pas de rentrer dans un moule particulier et dans les clichés parce que ça fait bien et qu’on a l’approbation d’un groupe, et qui essaie toujours de s’améliorer dans tous les domaines, d’être curieux de tout, qui n’a pas d’a priori, qui essaie d’aller de l’avant et qui surtout est sincère dans ses sentiments. Je suis fier d’être moi car je ne suis pas une personne commune. Il y a une différence entre exprimer des envies et les réaliser P.. Je ne t’ai quasiment jamais parlé de faire un grand voyage autour du monde, et pourtant je sais qu’un jour je le ferai. Beaucoup de personnes à la vingtaine se disent qu’elles vont le faire, qu’elles sont super téméraires et différentes des autres, et pourtant je suis sûr que parmi ces gens, quasiment aucun ne le fera. Tu doutais de ma capacité à voyager autour du monde et tu me l’as sorti comme un argument (parmi tant d’autres) pour me plaquer. Je te le dis aujourd’hui à toi P.. J’aurai fait 3 fois le tour du monde que tu n’auras pas décollé de Lille. Être beau parleur, grande gueule et se donner un genre, ça n’a jamais été mon truc P.. Et ça ne le sera jamais. Parler c’est facile, ça n’engage à rien. Agir c’est autre chose. Je suis loin d’être la personne que tu as imaginé P. , vraiment très loin. Et pourtant, personne ne m’avait autant pourri que tu ne l’as fait dans cette voiture en 10 minutes. Du coup, c’est grâce à toi que je suis enfin sorti de ma bulle, mais je peux te dire que ces 10 minutes, je m’en rappellerai toute ma vie. Tout cela s’est fait d’une manière plutôt violente mais au final je me dis qu’il n’y avait pas d’autres solutions. Amour ou amie, tu dois savoir qui je suis vraiment, c’est le plus important pour moi, car même si ça me brise le cœur, je ne suis pas prêt à rester en contact avec toi si tu penses vraiment que ma personnalité se résume à ce que tu m’as dit dans cette voiture. Mes amis ne m’ont jamais jugé, mes amis ont toujours su qui j’étais au fond de moi et ils n’attendaient qu’une chose, c’est que je sois enfin moi à 100%. Si j’y suis quasiment arrivé, il ne me reste pour ainsi dire qu’à déterminer le futur de notre relation. Passer de l’amour à l’amitié ce n’est pas évident P.. Mais je suis prêt désormais à faire cet effort, je suis prêt à être un ami sincère et toujours là pour toi. Mais encore faut-il que tu crois en moi et que je puisse te faire à nouveau confiance car cette dernière a été plus qu’ébranlée par des « je t’aime fort mon doudou » qui se sont transformés en quelques jours en des « je n’en ai rien à foutre que tu sois à côté de moi ». Et si tu peux compter sur moi, pourrai-je compter sur toi ? Voilà les questions auxquels tu dois trouver les réponses si tu accordes de l’importance à notre relation. Si tu avais cru en moi il y a quelques mois, ce jour d’anniversaire aurait peut-être été le jour où tu aurais compris mon grain de folie. Voilà le genre de moments que j’attendais pour te montrer ce dont j’étais capable. Penser que tu m’imagines tel que tu m’as décrit dans cette voiture est sûrement la dernière chose à laquelle je m’attendais de ta part je t’avoue. Je m’attendais à ce que tu me sortes tout sauf ça. C’est, comme tu l’auras compris, ce qui m’a fait le plus mal. C’était pire qu’un coup de poignard dans le dos. Venant d’une personne extérieur je n’en aurais rien eu à faire, venant d’un ami, je n’aurais pas apprécié du tout et j’aurais vite remis les choses au clair, mais venant de la personne à qui j’avais donné toute ma confiance, c’était trop dur à encaisser pour moi, beaucoup trop dur. Mets de côté toutes ces lettres envoyés, tous ces textos, mails et dernières conversations que l’on a eus, car si c’était moi, si c’était sincère, ce n’était pas moi dans mon entière personnalité. Ce mot en revanche conclu vraiment ce que j’ai à te dire. C’est la première lettre que j’écris en me rendant compte de qui je suis vraiment. Je crois enfin en moi, et je crois que tu peux aussi croire en moi. Les cartes sont désormais dans tes mains P.. J’ai perdu ton amour car je n’ai semble-t-il pas réussi à te prouver que j’avais en moi tel ou tel trait de caractère. Si je compte pour toi, à toi de gagner mon amitié en me montrant que tu m’as réellement compris et que tu es digne de confiance. Car de mon côté, tu sais que tu n’as aucune crainte à avoir, mon amitié sera aussi sincère que l’a été mon amour pour toi si j’ai la certitude que c’est ton cas. L’amour demande un investissement qui vient naturellement lorsque l’on s’aime. L’amitié, pour moi, c’est pareil. C’est un investissement, qui vient naturellement lorsque l’on considère que l’on peut faire confiance à quelqu’un. Notre histoire a commencé par 6 mois que je considère comme une des plus belles périodes de ma vie, une véritable parenthèse enchantée où je n’avais qu’une envie, c’était d’être avec toi. Cette période enchantée est définitivement révolue. Je suis prêt à essayer d’en vivre une nouvelle. En as-tu l’envie ? Es-tu prêtes à regagner ma confiance ? Je ne te cache pas qu’il y aura du boulot de ton côté. A toi de suivre ton instinct. Mon amitié est à ce prix désormais. Tu m’as dit être à l’écoute, c’est l’occasion ou jamais de me le montrer.

A mon grand-père

J’ai eu la douleur de perdre mon grand-père maternel il y a 4 jours (le jeudi 7 août 2014 au petit matin). Très proche de mon grand-père, j’ai eu la chance de partager et d’échanger énormément avec lui au cours de toutes ces années. Au cours de son enterrement, qui s’est déroulé entre Marseille et Toulon, il y a 2 jours (le samedi 9 août 2014), j’ai tenu à rédiger et à lire un tout petit texte à sa mémoire (il m’aurait sans doute été difficile de lire « sereinement » un texte plus long). Puisque rien ne se perd sur l’internet éternel, peut-être des gens tomberont-ils sur ce texte dans quelques centaines d’années, et à défaut de leur ouvrir une fenêtre sur la vie de personnes disparues depuis bien longtemps, peut-être auront-ils la certitude que s’il est une constante qui perdurera à travers les âges, c’est celle de la perte d’un être aimé.

Papi, tu nous as quittés il y a à peine deux jours. Et malgré la profonde tristesse qui nous habite tous en ce moment de deuil légitime, nous avons l’impression que ce sont tous ces moments de joies, de partage, et même d’engueulades qui doivent prendre le pas pour honorer au mieux ta mémoire. Nous ne savons pas si tu as pu enfourcher un vélo pour partir vers de nouvelles contrées, mais puisque la petite reine était ta grande passion, nous l’espérons, d’autant plus que ces satanées jambes ne te donnaient plus la force de t’adonner à ce sport depuis bien trop longtemps à ton goût.

En parlant de vélo, nous nous rappellerons d’un temps pas si lointain où tu m’initiais du côté de Toulouse, entre Garonne et Bouconne, tout près du lieu de naissance de ton propre père et d’un de tes petits-fils, à cent ans d’intervalle à peine ! C’est néanmoins à grand peine que je te suivais, mes jambes de 12 ans ne faisaient clairement pas le poids face à tes 50 années de pratique assidue. Cette force, tu ne l’avais pas seulement dans tes jambes, mais aussi dans tes bras et dans ton cœur.

Tu aimais tes petits-enfants plus que tout, et chacun d’entre nous pourra en témoigner, à chaque fois que tu t’élançais dans une de tes accolades à notre égard, nous prenant affectueusement par le cou, nous prenions 50 «g» dans les cervicales, bien vite compensés par tant d’amour et d’affection. A chacune de tes sorties quotidiennes, tu avais toujours un petit quelque chose pour Gautier. Oh, bien sûr, comme tout le monde tu avais tes petits défauts, tes moments grognons envers mamie, mais s’il ne fallait évoquer qu’un défaut, c’est cette fameuse sortie à la pêche. Ne soyons pas mauvaises langues, si seul Jean-Paul a pu goûter à une sortie sur vieux rochers infestés de moustiques, pour 100 % de tes petits-enfants, cette sortie à la mer, ça sera notre arlésienne qu’on chérira pendant encore longtemps, et qu’on évoquera peut-être même un jour avec nos propres petits-enfants.

Parmi tes nombreuses passions, nous pourrons évoquer la philatélie ou encore la pétanque. Bon, la pétanque, c’était le sport que tu aimais pratiquer non pas avec tes petits-enfants, mais avec tes vieux amis et connaissances aussi bien du côté de Marseille que du côté de Toulouse. Nous ne nous en plaindrons pas. A la place, nous avions droit à des anecdotes de choix. Alors, nous ne savons plus si la mémoire nous fait défaut ou si notre subconscient embellit déjà certains épisodes de ta vie, mais nous pouvons évoquer quelques images, d’un petit blondinet à bouclettes qui va devenir bien vite un as de la castagne au grand cœur, un coureur de bals qui va tomber bien vite dans les jupons de mamie, un amateur de vélo conducteur de camions par la force des choses, un homme du sud qui débarque en tongs chez les Ch’tis, et surtout un homme qui a été confronté à bien des éléments contraires dans sa vie, et qui pourtant s’est toujours battu pour que sa famille ne manque de rien, et pour que ses petits-enfants aient la chance de partager tant d’années heureuses en sa compagnie.

Sans doute emportes-tu avec toi des histoires palpitantes qui font partie à tout jamais de ton jardin secret, mais sans regret nous avons eu l’essentiel, un grand-père unique et surtout un homme droit et juste que l’on pourra suivre comme modèle. Élodie, Guillaume, Audrey, Arnaud, Mathieu, Gautier, tous les 6, nous ne t’oublierons pas !

Tourmalton

« Tourmalton et le tueur aux billes » plus exactement. C’est le nom d’une petite nouvelle que j’ai écrite lorsque j’avais à peu près dix ou onze ans. Une de mes premières histoires, et qui possède notamment un début et une fin. J’ai eu la chance de retomber dessus cet été, nouvelle écrite alors sur cinq copies doubles, que j’ai eu la bonne idée de ne pas jeter mais qui s’était tout de même bien perdue dans mon placard chez mes parents. Retrouver ce texte, et le relire, a été l’occasion d’un bon fou rire tellement cette histoire est stupide. Ça a aussi été l’occasion de me faire très mal aux yeux. Mon orthographe n’a jamais été géniale, mais alors vers dix ans, quelle catastrophe !!!

Saisissant l’occasion d’avoir ce texte à portée de main, j’ai décidé d’en garder une trace sur le web infini. J’ai donc réécrit le texte pour mon site web. Mis à part les fautes d’orthographes qui sont je l’espère pour leur grande majorité passées à la trappe (sans quoi le texte est totalement illisible, déjà que son intérêt est nul), je n’ai que très très peu remanié le texte, si ce n’est deux trois tournures ou fautes de grammaire qui me semblaient vraiment rédhibitoires. Pour le reste, la naïveté, les incohérences, l’inconsistance sont toujours au rendez-vous, ne vous inquiétez pas. Si vraiment vous voulez démarrer la saison des prix littéraires avec les délires d’un gamin de 10 ans aspirant écrivain, c’est par ici.

Speedwriting #8bis – Concert

La salle n’était pas très impressionnante au premier abord. Assez grande pour accueillir un millier de personnes, on pouvait la qualifier d’intimiste, mais sa sobriété était telle qu’on avait du mal à imaginer qu’une quelconque communion eut pu déjà s’y produire entre fans et artistes. La scène proprement dite surmontait d’un petit mètre, peut-être davantage, le plancher qui devrait accueillir dans quelques heures la troupe déchaînée. Je m’imaginais au milieu de cet attroupement, un mouton parmi tant d’autres, ou plutôt tel du bétail, parqué entre la scène et la petite porte qui se refermerait peut-être dernière nous une fois les organisateurs sûrs d’avoir vendu le maximum de places possible et qui verrouilleraient la salle de peur que le flot déchainé ne s’échappe et ne se déverse en des lieux où il n’aurait rien à faire. J’ignorais combien de personnes viendraient assister au spectacle, mais j’étais sûr d’avoir entendu ça et là des rumeurs faisant état d’un chiffre bien supérieur à la capacité de la salle. Je me demandais comment je pourrais retirer du plaisir de cette orgie musicale, du haut de mon mètre soixante-dix, coincé entre une adolescente hystérique, un ersatz de Marylin Manson et bien sûr, loi de Murphy oblige, le seul double mètre de la salle qui m’interdirait toute vue de la scène. Cette dernière, dont la largeur n’excédait pas une vingtaine de mètre, était loin d’avoir revêtu ses habits de gala.

Sans doutes les vestiges d’un dernier concert, une batterie traînait nonchalamment sur le côté gauche de la scène, une cymbale crash brinquebalante. Celle-ci avait dû subir l’assaut de trop, d’une baguette, ou bien d’un de ses artistes qui, emporté par sa frénésie, vint peut-être se fracasser sur l’instrument, ce qui, tel que je me l’imaginais, devait être monnaie courante. Peut-être même un bassiste voyait-il là un moyen original d’unir sa rythmique à celle du batteur, improvisant une sonorité unique, qui ne se retrouverait pas sur l’album studio. Le charme de la scène ne consistait-il justement pas à jouer un même morceau, sans jamais le reproduire exactement, en créant, en surprenant encore et toujours ? C’est à travers ce travail d’improvisation que les musiciens entendaient apporter la preuve qu’ils venaient faire découvrir une œuvre avant de faire découvrir un artiste. En ce sens, les instruments étaient aux artistes un troisième bras, une extension de leurs corps. Dit autrement, le commun des mortels naissait amputé de ce troisième bras. Et parce que la majorité des gens était dans ce dernier cas, la première définition devait paraître plus correcte, et la formule était largement usitée. Je pouvais le comprendre, se voir amputer d’un bras n’a rien de très réjouissant. Ce genre de rassemblement était peut-être un moyen de célébrer l’être supérieur, tandis que nous tous, nous étions conscients de notre inaptitude musicale. Maintenant que j’y réfléchissais, je me sentais un peu malheureux. Je me disais que ce n’était pas très juste de la part de la vie de créer ces êtres dotés d’un talent, heureux élus, si rares. Avaient-ils seulement une idée de la chance qu’ils avaient, de cet inné qui serait de loin supérieur à tout ce qu’un être “basique” ne pourrait jamais fournir même en y jetant toute ses forces, en travaillant des années, sans relâche, sa rythmique, ses accords, la tessiture de sa voix ?

Je me sentais bouillir désormais. J’étais poursuivi, même dans ce temple de la fête où j’étais simplement venu prendre du plaisir, par mes incessantes crises existentielles et cette colère qui ne voulait pas me quitter depuis des mois. Je jetais des regards noirs aux quelques dévots qui m’entouraient, certains se massant déjà le plus près possible de la scène, comme s’ils voulaient s’imprégner de l’ambiance, prêts à se laisser bercer par cette atmosphère si particulière, enveloppe du message des prêcheurs. Ils étaient vraiment stupides, se rendaient-ils compte, qu’en plaçant ces êtres sur un piédestal, ils ne faisaient que s’abaisser eux-mêmes ? Le pire, c’était d’imaginer que je pouvais faire partie de cette masse de fidèle, ou à tout le moins que l’on pu m’y confondre. Je n’avais pourtant rien en commun avec eux. Tout juste une curiosité pour les choses nouvelles, ce goût de l’inhabituelle plus que de la belle musique, mais en aucun cas je ne vouais un culte irréfléchi, aveugle. J’étais en train d’imploser. Il fallait que je me calme. Soudain, j’aperçus un escalier, sur le côté droit de la salle, à mi-chemin entre la scène et les portes d’entrée. Celui-ci menait à une mezzanine dont l’espace devait couvrir un tiers du parterre principal. Je décidais de me jeter sur les marches que je grimpais deux à deux, et je me précipitais si rapidement, encore tout empli de cette colère, que je faillis trébucher sur la dernière marche. Je me raccrochais tout juste à la rambarde, un peu honteux, espérant que personne ne m’aurait vu.

En vérité, seules quelques personne se trouvaient là, à surplomber la scène, collés à cette fameuse rampe que je serrais encore de mes mains. Ceux-là étaient clairement un type de dévots plus fainéants. Assis en tailleurs, collés à la balustrade, ils pourraient boire et s’imprégner de la musique sans se fatiguer, avec une vue imprenable. Seule leur manquerait cette proximité avec la scène. Mais je me rendais compte, qu’ici comme partout ailleurs, tout était affaire de compromis. Essoufflé par cette brusque montée d’adrénaline, je décidais de m’asseoir à côté d’un petit groupe de trois personnes. Je me positionné comme eux, ne voulant pas trop marquer ma différence et surtout mon manque d’expérience en ce genre de lieu. Je basculais mon buste en arrière et mes mains se posaient sur le sol, bras tendus. J’essayais de me calmer, de ralentir les battements de mon cœur. J’expirais et inspirais profondément. La vue de la scène était en effet bien différente de celle que l’on avait quelques mètres plus bas. La meilleure vue possible sans aucun doute, mais je n’étais pas certain de préférer cette place à l’abri de la meute. J’avais la sensation que pour vivre le concert, pour dire que l’on y était au même titre qu’un être de cette foule, il fallait redescendre, vivre et survivre au milieu du monde, avec le monde. Nous devions partager les mêmes plaisirs et subir les mêmes contraintes. Moi qui avais pourtant horreur de me fondre dans la masse, moi qui aimait par-dessus tout mon indépendance, ne résistais pourtant pas à cette pensée contraire à ma philosophie de vie habituelle. J’étais perdu dans ces pensées, quand soudain, une voix parvint à mes oreilles :

– On n’est pas mal situé là pas vraie ?

C’était mon voisin de gauche qui m’adressait la parole, sans doute un peu intrigué par mon attitude et qui devait mesurer mon léger malaise. Il poursuivit :

– Au moins on ne rate rien. Ce n’est pas tant le chanteur qui importe, c’est le groupe en entier.

Je le regardais, mais comme je ne répondais toujours rien, il ajouta :

– Tu vois, moi ce qui m’agace, c’est que le batteur a toujours tendance à être négligé. Le chanteur au milieu, les bassistes et guitaristes à la gauche et à la droite. Et le batteur, derrière, oublié. C’est incroyable ce mépris constant.

Il s’arrêta de nouveau. Je sentais qu’il attendait une réponse de ma part, une approbation sans aucun doute de ses dires pour le moins savants. J’avais beau ne pas avoir une grande expérience de la scène, je ne pouvais m’empêcher de considérer ses paroles comme les clichés ultimes de la perception que le monde a en général du rôle de chacun dans un groupe. Mais peut-être étais-je trop sévère et mon voisin tenait simplement à user de lieux communs pour lancer la conversation. Considérant alors que l’on trouvait toujours une part de vérité en remontant à la source des clichés, je me bornais à lui répondre de manière concise et sincère :

– C’est possible. Enfin, je ne crois pas que ce soit le cas systématiquement.

Je me rappelais notamment d’un concert, plus précisément de la vidéo d’un concert – puisque j’étais plutôt spécialiste de la scène par écran interposé – où le batteur était bel et bien mis en évidence, pas exactement sur le devant de la scène, tout juste excentré, et placé de manière ad hoc sur une marche de manière à le mettre autant en évidence que les autres membres du groupe. Je pointais alors du doigt, vers la scène, la batterie malheureuse qui portait toujours sur elle les traces d’une soirée agitée.

– Regarde, lui dis-je, cette batterie m’a l’air bien mise en valeur. Et au vu de la taille de la scène, c’est plutôt encourageant.

Que j’ai eu tort ou raison à ce moment-là, peu importait. J’avais l’impression d’avoir prononcé le contraire de ce que j’aurais dû dire. Je regardais sur le visage de mon voisin l’effet de mes paroles. Il avait l’air plutôt contrarié, et j’aurais juré qu’il me regardait un peu de travers. Ses compagnons, qui n’avaient prononcé mots jusqu’ici, me regardaient de leur regard neutre.

– On n’est pas mal ici, continuais-je, mais c’est un peu frustrant d’avoir la balustrade devant soi. J’ai l’impression d’être emprisonné pour le coup !

Pour toute réponse, j’obtins non pas un, mais trois regards noirs de la part de mes éphémères compagnons, regards qu’ils accompagnaient, j’en été persuadé, de pensées bien désagréables et qui voulaient clairement dire, si je me place sur un mode de langage soutenu : « Si tu n’es pas bien ici, tu n’as qu’à redescendre et te joindre aux moutons qui paissent déjà en attendant le gros du festin ». Je ne me fis pas prier, et descendis les marches presque aussi vite que je les avais avalées lors de ma brève ascension. Je pris garde toutefois à conserver l’équilibre, car si une chute devant 3 adolescents attardés était une chose, se retrouver à terre devant tout ce petit monde qui commençait à emplir la salle en était une autre. Bien sûr, cette dernière était toujours loin d’être bondée pour le moment, auquel cas chaque âme présente dans la salle n’aurait pas l’occasion d’entamer une chute qu’elle serait soutenue par sa voisine telle deux sardines en boites. Mais à la faveur des allers et venues des curieux, et au-delà des fans qui campaient devant la scène, je sentais comme un changement d’ambiance ; une excitation presque imperceptible qui était partie de je ne sais où se promenait au milieu de la salle et se transmettait parmi le modeste public, ce qui du coup donner l’impression que ce dernier avait bel et bien augmenté depuis mon court périple dans les hauteurs de la salle.

Attentif à ce qui se passait autour de moi, je cru deviner d’où pouvait bien provenir ce changement d’atmosphère. En effet, si le public épars m’avait jusque-là semblé bien éclectique, je remarquais qu’un léger flot de personnes d’un genre bien particulier se déversait vers le côté gauche de la scène. Le flot était d’autant plus léger que parmi ces personnes, certaines ressortaient assez vite, comme si elles venaient en inspection, tâtaient l’ambiance. Ce groupe de personnes, qui clairement appartenait à un même genre musical, c’est ce que j’appelais des « métalleux ». Je ne me serais bien sûr pas amuser à les interpeller en utilisant ce mot somme toute bien caricatural. Pourtant, à les voir déambuler, parler entre eux, similaires les uns aux autres dans leurs attitudes, leurs manières de s’habiller, de se comporter, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une pointe de mépris à leur encontre. Si ce n’était pas là des caricatures de fans de musique de métal, je ne vois pas qu’est-ce d’autre qu’ils pouvaient être. Habillés en noir de la tête aux pieds, cheveux tellement noirs qu’ils viraient sur le bleu, je me demandais si les blonds avaient leur place dans cette communauté, où s’ils en étaient réduits à cacher cet honteux attribut dont la nature les avait pourvu sous une teinture. Certains arboraient un t-shirt noir uni, sans aucune marque distinctive, tandis que d’autres affichaient fièrement le nom et le motif d’un groupe fétiche. Je devais peut-être les regarder un peu trop attentivement, avec un regard mi-suspicieux mi-curieux, car l’un d’entre eux, tout en continuant sa discussion avec ses compagnons, me désigna d’un léger signe de tête. Je ne sais trop ce qu’il avait pu dire, mais tout le groupe se mit alors à rigoler d’un petit rire plutôt moqueur.

N’appréciant que moyennement le fait d’être le dindon de la farce et le sujet de conversations dont je ne pouvais pas mesurer le fond et tout juste la forme, je voulais profiter de cette occasion pour sortir de la salle et m’en aller tâter l’ambiance d’autres halls lorsque quelqu’un posa sa main sur mon épaule, sans doute l’un de ses métalleux qui voulait poursuivre sa moquerie. Je me retournais alors, et quelle ne fut pas ma surprise de contempler un visage qui m’était bien familier.

– Mickaël, m’exclamais-je ?

Je ne lui laissais pas le temps de répondre et j’enchaînais:

– Comment vas-tu ? Tu ne m’avais pas dit que tu venais assister au festival !

Un petit sourire bienveillant et un regard rieur éclairaient toujours son visage, qu’elle qu’en fut l’occasion, et celle-ci ne dérogeait pas à la règle. Il faut dire que mon air ahuri devait également y être pour quelque chose, puisque je ne m’attendais absolument pas à croiser des connaissances en ce lieu. C’est donc tout souriant qu’il prononça ses premières paroles :

– Oui, c’est un pote à moi qui m’a donné sa place, il n’a pas pu venir finalement !

– Veinard, lui dis-je ! Cela m’étonne tout de même de ta part que tu n’es pas pris le soin d’acheter ta place à temps quand moi j’y ai pris garde. C’est quand même l’événement à ne pas rater.

– Oui, mais tu sais, qu’il s’agisse de l’événement de l’année ou du petit concert de quartier, si j’assistais à tous les festivals et manifestations musicales du monde, je crois que le temps me manquerait pour faire d’autres choses.

Mon regard scrutait le fond de ses yeux pour lui arracher la vérité car je ne pouvais pas totalement croire en la sincérité de ses paroles. Il craqua alors :

– Oui ! Bon, tu as raison, honte à moi, c’est quand même l’événement ! Mais certaines choses m’avaient fait rater le coche cette année.

Je ne pouvais qu’acquiescer et je poursuivais :

– D’autres choses, comme ton groupe ? Où en sont tes recherches d’ailleurs ? Il me semble que tu étais notamment en quête d’un batteur et d’un guitariste ?

-Un bassiste plutôt, me corrigea Mickaël. Mais mes recherches n’ont pas étaient très fructueuses pour le moment.

Il regarda alors dans la direction des métalleux, et il ajouta :

– J’en ai profité pour parler avec un ou deux gars de ce groupe qui semblaient être intéressés. Il faudra voir. Autant saisir chaque opportunité qui se présente pour faire son marché, tant que je suis là !

Il héla alors une ou deux personnes du groupe que j’avais pris soin d’éviter. Je voulais alors me faire tout petit puisque je ne pouvais pas lui dire que je venais de prendre congé de ces mêmes individus ! Heureusement, ces derniers ne firent que renvoyer le salut de Mickaël. Au moins temporairement soulagé, j’en profitais pour faire ma mauvaise langue :

– Je vois que tu as encore du pain sur la planche pour te constituer le groupe de tes rêves. On ne peut pas dire que ces gars-là soient particulièrement motivés par tes plans de carrière.

En une fraction de seconde, j’avais peur d’avoir encore sorti les mots qu’il ne fallait pas. Après tout, j’accumulais les petites bourdes, non pas que cela me surpris, mais tant qu’à retrouver par hasard une connaissance d’agréable compagnie, autant ne pas tout gâcher par une remarque déplacée. Or, si cette dernière se voulait avant tout critique envers les énergumènes que j’ai déjà suffisamment évoqués, je me suis dit qu’il pourrait prendre celle-ci pour lui-même. Heureusement, mes craintes furent vite dissipées. Nullement perturbé, Mickaël sourit de plus belle :

– Parce que tu crois que j’ai un plan de carrière peut-être ?

Cette expression « plan de carrière » sembla beaucoup l’amuser, tant je l’avais prononcé avec sérieux. Il enchaîna :

– Tu as raison, c’est sans doute le problème. Sans plan de carrière, personne ne voudra de moi dans son groupe, encore moins en tant que père fondateur. C’est sans doute pour ça que j’attire plutôt les ados carpe diem.

– Ah ? Tu as fait passer quelques auditions alors ? J’imagine la scène quand la personne te téléphone : « Kikoo, c’est Lea, je kiffe grave le Metal et je suis gothique dans l’âme ».

Mickaël éclata de son petit rire :

– Tu plaisantes, mais c’était un peu ça il y a quelques jours. J’avais fait venir deux filles, deux copines en fait. Bon, elles jouaient toutes les deux de la basse, mais tu sentais que l’une était là juste parce que l’autre y était.

– Comment cela s’est passé alors ? Elles n’étaient pas d’un bon niveau ?

– Non, bien au contraire, elles étaient plutôt bonnes dans leur domaine. Cependant, je ne sais pas, le feeling ne passait pas vraiment. On les a faites jouer avec nous toute une après-midi, mais il manquait la petite flamme je crois. Finalement, le fameux plan de carrière était la source du problème à mon avis. Je ne les sentais pas trop motivées dans leur engagement envers un groupe.

– Et oui, tu as beau avoir 4 ou 5 ans de plus, c’est un saut générationnel énorme ! Tu es un vieux de la vieille désormais.

– Espèce de petit con !

L’insulte était bien sûr prononcée sur le ton de la plaisanterie, et je ne pus m’empêcher de lui rappeler qu’il était plus jeune que moi de deux années ! Il eut un air dépité, puis nous enchaînâmes sur quelques sujets sans grande importance concernant notre entourage professionnel commun.

Speedwriting #7bis – Un avant-goût…

Je travaille depuis quelque temps sur une nouvelle, ce qui explique mon manque d’assiduité sur la tenue de ce blog. Afin de mettre un terme aux rumeurs les plus sordides qui circulent sur la toile et qui indiqueraient que j’ai simplement mis ma carrière d’écrivain (certes au stade embryonnaire) entre parenthèses, et aussi afin de rassurer mes lecteurs, voici un tout petit extrait de la nouvelle en question. Lorsque j’aurai conclu cette dernière, peut-être ce passage n’aura-t-il pas évolué d’un iota, ou bien peut-être aura-t-il disparu ! Qui vivra verra ! En attendant, ENJOY !

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Encore tout chamboulé par ce qui venait de m’arriver, je fus entraîné hors de la salle par un mouvement de foule irrésistible dont je ne cherchais même pas à contrer la marche. Tout effort aurait été de toute façon vain, tant la puissance que peuvent dégager des dizaines de personnes liées les unes aux autres tel un seul surhomme est impressionnante. Et parce que j’avais l’esprit trop embrumé pour entreprendre une quelconque action, c’est par instinct de survie que cette fabuleuse machine qu’est mon cerveau primaire se mit en branle afin de me permettre d’encaisser les coups inévitables et de suivre la procession tel un maillon de la chaine trop faible pour agir. Autant dire que je n’avais pas la moindre idée du lieu vers lequel j’étais censé aller. Je pense d’ailleurs toujours aujourd’hui que cette foule elle-même n’en avait pas la moindre idée. Elle fonçait vers sa destination sans réfléchir, inconsciente du chemin à emprunter, mais résolue à avancer. A posteriori, je me dis que c’est bien malgré moi que je me retrouvais parmi ces fameux moutons que j’avais tant méprisés. Mais était-ce le cas ? Dans ma temporaire fébrilité, je commençais à me prendre au jeu. Je ne voyais pas tellement de différences entre cet élément rouillé que je représentais, seulement porté par la foule, et l’automate que j’avais pu être en certaines occasions lors de soirées en boites de nuit, alors que les stroboscopes battent leur plein et que les musiques aux rythmes répétitifs et aux basses entêtantes martyrisent nos oreilles et réveillent nos jambes par ce mystérieux instinct de la danse. J’avais presque honte de me l’avouer, mais je ressentais du plaisir à être baladé par cette masse, de me laisser guider et de guider tout à la fois, malgré mes pas mal assurés. J’étais totalement grisé par ma propre impuissance. On a pour coutume de dire que le comportement d’une foule est un phénomène émergent. Je comprenais maintenant la portée de cette phrase. J’étais totalement convaincu à ce moment précis que nulle personne de la foule ne contrôlait les mouvements imprévisibles de cette masse bouillonnante. Pourtant, nous avancions tant bien que mal, et notre trajectoire ne m’apparaissait après tout pas si chaotique qu’elle en avait l’air au premier abord. Nous approchions de ce que j’appelais la croisée des chemins, portail central du festival qui conduisait aux trois plus grandes scènes. En face, l’océan…

Soudain, j’eus plus de places pour respirer. Je devais même faire des efforts pour me mouvoir, et je serai tombé de tout mon poids si mes réflexes m’avaient abandonné ! Preuve que la foule m’avait totalement porté, qu’elle avait porté chacun d’entre nous. De toute évidence, l’espace suffisant offert par ce carrefour avait cassé la plupart des maillons. Le charme était rompu. Je regardais autour de moi, nous étions tous transpirant, dégoulinant, trempés, la sueur nous enveloppés de la tête aux pieds. Quelques filles qui passaient à côté de moi enlevèrent leurs T-shirt, laissant apercevoir leur soutif et par-delà les tissus, leurs seins. Elles me jetèrent un regard approbateur tandis que j’étais momentanément fixé sur leurs attributs. Puis elles commencèrent à courir en direction de la plage. Celle-ci n’était pas à plus d’une centaine de mètre. Reprenant peu à peu mes esprits, je pouvais apprécier la légère brise qui caressait mon visage. Je fermais les yeux afin d’augmenter cette sensation de bien-être. Cette brise était si douce, elle semblait tellement bien s’y prendre avec moi que j’aurais pu la confondre avec mon âme sœur, la seule sans doute qui pourrait me caresser de la sorte, de manière si sensuelle, comme une caresse que seuls deux amoureux pourraient s’offrir. Le genre de sensualité que deux personnes qui se connaissent et se comprennent intimement partageraient une fois sans jamais l’oublier pour le restant de leurs jours.